Un certain vendredi 24 septembre 1915 à Pontlevoy

Pontlevoy 1910-1920 – Un Terrain entre ambitions et déboires
Jérôme Grosse, Jean-Luc Charles et Toni Giacoia – Membres 2A


8 minutes de cinéma à propos du centenaire de cet aérodrome.

En écoutant la vidéo ci-dessus, Il peut sembler étonnant qu’il n’y ait plus aucune trace de l’aérodrome de Pontlevoy, ni davantage en observant la photo ci-dessous :

Extraction google map

Il y avait pourtant des hangars et un dépôt d’essence sous-terrain. Toutefois, il existe des terrains bien plus récents qui ont aussi complètement disparu. L’aérodrome de Pontlevoy (ou Pont-Levoy) a de quoi intriguer. Ce fut semble-t-il un des (sinon le) premiers aérodromes en Val-de-Loire puisque son inauguration date du 14 août 1910 et est antérieure à celle de Romorantin-La-Butte du 4 juin 1911 ( https://www.anciens-aerodromes.com/?p=128361 ). Didier Lecoq avait déjà fait des recherches sur ce terrain depuis au moins 2005 et son attention avait été attirée par les passages de plusieurs pilotes connus. Il avait rapporté ces évènements sur son site Aéroplane de Touraine. Certaines informations évoquent une activité aéronautique importante pour l’époque, d’autres révèlent quelques courtes périodes d’effervescence suivies de longues phases de calme. Anciens-Aérodromes continue de chercher dans les carnets de René Crozet récemment développés conjointement avec Aeriastory.

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Les hangars de l’aérodrome de Pont-Levoy dans le Loir-et-Cher en 1914 – Collection Toni Giacoia

Le terrain a été créé en juin 1910 par le binôme Charles Tauvin et Fernand Morlat. Charles Tauvin est un riche fermier de Pontlevoy. Il habite une très belle propriété, La Belle Etoile, à Pontlevoy. Il possède de nombreuses fermes.

Carte postale de la Belle Etoile – Collection privée

Comment Fernand Morlat est-il arrivé à Pontlevoy ? Il est connu comme mécanicien, vendeur de voitures et, pilote d’avion. Il serait membre de l’Union des Aviateurs de la Seine et un article dit qu’il n’a jamais eu de brevet d’aviation.
Ce qui est certain c’est qu’il a bien obtenu son diplôme de mécanicien-conducteur sur voiture Georges Richard, comme relaté ci-dessous par le journal l’Auto du 18-2-1905. On le retrouve encore en 1934 sur une page publicitaire qui le donne à la tête de deux garages parisiens.
Et le 5 novembre 1910 Morlat et Tauvin sont « ballottés et admis » à l’Aéro-Club de France.

Articles de l’Auto de 1905, 1910 et 1934 – Origine Gallica-BNF
Il est à noter qu’actuellement les deux adresses, notées sous la photo de Morlat, sont encore des garages.

M. Tauvin donna à Morlat une ancienne distillerie à betteraves pour y construire des avions et des automobiles. Morlat y aurait construit un prototype et je me demande si ce n’est pas l’avion en tubes acier dont parle Crozet.
Des hangars sont construits dès mai 1910 et M. Morlat crée son école d’aviation, achète des avions avec les fonds de Tauvin.

Tous à la Fête

L’inauguration du terrain se passe les 14 et 15 août 1910. Une foule considérable s’y presse Environ 6.000 personnes pour le 14 et 15.000 pour le 15, convergent vers Pontlevoy, commune rurale de 2.200 habitants, pour assister à l’inauguration de l’aérodrome de Pontlevoy.
Le journal le Progrès du Loir-et-Cher explique ;
« Cet aérodrome a été créée par le sympathique Monsieur Morlat, Directeur des travaux des Aviateurs de la Seine et le généreux sportman pontélivien Monsieur Tauvin. Sont cités les aviateurs Courréjoux, Effimoff, Damienko et Mlle Itier* ! …
Un temps splendide. 2 hangars sont construits abritant 4 avions : celui de Courréjoux, Morlat et Damienko. Les vols eurent beaucoup de mal à se passer à cause du vent. »
• Mademoiselle Itier : On peut se poser des questions sur cette personne. En effet la seule Demoiselle Itier que l’on trouve sur le net est une femme qui vers 1926 fera de la compétition automobile. Mais en 1910 on retrouve aussi la présence en vol dans d’autres lieus d’une personne du même nom.

 

Chronique du terrain

• Le 1er février 1911 le Capitaine Bellenger, vainqueur du Pau-Paris) fait une Etape à Pontlevoy ‘a vérifier)

• Le 22 mai 1911 : la foule est de nouveau là pour voir les aviateurs de la course Paris-Madrid. Ce jour-là la fête tourne court du fait de l’accident survenu au départ de cette course, à Issy-les-Moulineaux, où l’aviateur Train rate son décollage et son avion rentre dans la foule tuant le Ministre de la Guerre.
Ce jour-là on note dans la Dépêche du centre que l’aviateur Louis Gibert sur Blériot (1885-1956) le n°7 a atterri à Pontlevoy transi de froid.

Carte postale d’une collection privée 

• 22 mai 1911 : Pierre Divetain (1893-1926) capote au décollage de la course Paris- Madrid sur Goupy.

Carte postale d’une collection privée 

• 8 Juin 1911 : le Pau-Paris : les Lieutenants de Malherbe et Princeteau ont atterri à Pontlevoy.

Carte postale d’une collection privée et article venant de la BNF

  • 15 juin 1911 : Brevet de Pierre Daucourt à l’école Morlat de Pontlevoy.

Pierre Daucourt lors de son record de distance
(Gallica-BNF – L’Aérophile du 01.05.1913, Pg204)

  • 3 sept. 1912 : Tous les avions prenant part aux manœuvres de Touraine sont concentrés à Pontlevoy. Notez les détails des atterrissages ci-dessous.

Gallica-BNF – L’Aérophile

  • 18 sept. 1912 : 2 escadrilles venant de Châtellerault ont fait escale à Pontlevoy avant d’atterrir à Villesauvage.
  • « Le 6 octobre 1912 le pilote Pierre Daucourt, qui a passé son brevet à Pontlevoy en juin de l’année précédente, prend une option pour remporter la Coupe Pommery en effectuant un trajet de 830 km, de Valenciennes à Biarritz. »
  • 17 Janvier 1913 : Gastinger a quitté l’aérodrome de Issy se rendant à Orléans et Pontlevoy pour sa 2ème épreuve du brevet militaire (c’est l’épreuve dite de la ligne droite).

Revenons à l’histoire de Pontlevoy

Assez rapidement l’entente entre les 2 hommes se détériore et Tauvin fait appel à un petit industriel de St Cyr-sur-Loire : Mr. Roberthie. La vente de l’école est faite le 20 février 1912.

Superbe affiche de l’aérodrome de Pontlevoy. A noter que le Directeur et Propriétaire se nomme Roberthie
(Collection BNF)

L’acte du notaire de Pontlevoy décrit les avions vendus : un Blériot moteur Anzani, un Nieuport moteur Darracq, un Voisin moteur ANV, un taxi école moteur Anzani, un Poulain moteur Labor et un fuselage de Blériot.
Vers 1913 ne pouvant payer M. Tauvin, Roberthie s’en va.

L’histoire de cet aérodrome aurait pu s’arrêter après cette fuite de Roberthie, mais un nouveau pilote militaire, Joseph Tulasne, qui vient d’être nommé à l’inspection générale de l’Aéronautique vient à Pontlevoy le 17 janvier 1914 afin de mettre au point la convention entre l’aéronautique militaire et la ville pour utiliser l’aérodrome qui était voué à devenir une friche depuis l’arrêt de l’école.

Pendant la guerre on n’aura que des passages, des ravitaillements ou des réparations. Le récit de la visite de Crozet placé en tête de cet article nous donne une bonne idée du terrain et d’une faible activité malgré la présence d’un mécanicien. L’activité est bien plus forte sur Romorantin.
La partie 1917-1920 avec les Américains est très subjective : on est sûr que c’est un cantonnement US avec 2000 hommes du 4ème RI. Mais aucune trace d’aviateurs.
On parle souvent de la fin du terrain en 1920, de nos jours il ne reste aucune trace visible « au sol ».

Estimation de la surface du terrain de Pont-Levoy. Le périmètre en mauve se situe sur la droite de la route de Chaumont.

(Origine Jérôme Grosse sur une vue aérienne Google)

Les réflexions de Toni Giacoia (membre 2A)

L’étude de ce terrain est une véritable saga des débuts de l’Aviation. On voit comment un binôme improbable dans un village de 2200 habitants a pu rêver de faire en 1910. C’est le début des vols avec des intrépides. Ensuite viennent les circuits, les coupes richement dotés de prix. On va de plus en plus loin et avec des moyens de navigation inexistants. Les militaires arrivent dès 1911. On se réunit, on fait des manœuvres. L’école d’Avord, une des premières, c’est juin 1912. La période Roberthie me semble un fiasco. Ensuite à Pontlevoy début 1912, l’école est fermée et le terrain devient une étape dans les brevets, manœuvres ou circuits. La mairie essaie de le vendre comme terrain militaire. Il s’éteindra tout doucement pour disparaître complètement ne laissant aucune trace de son passé (comme de très nombreux autres terrains de 14-18).
Le binôme Morlat-Tauvin mérite d’être étudié : M.Morlat me semble un touche à tout et assez brillant. Il a de l’ambition mais peu d’agent. M. Tauvin est flatté de se lancer dans l’aviation lui qui cultive des betteraves. Il finance, il est élu à l’Aéroclub de France. L’inauguration est somptueuse, il y a tous les notables de la région. Sans doute ensuite a-t-il pris peur de Morlat. Morlat a des relations et des ambitions. Je vais approfondir ses relations avec les Russes et Courréjoux.

D’un côté on dirait un terrain fantôme, de l’autre il a laissé des traces. Mis à part l’école d’aviation, rien ne prouve une activité d’éléments stationnaires. C’était peut-être un terrain de déroutement.
Par exemple, l’escadrille B de Francézon n’était pas basée à Pontlevoy mais à Tournon dans l’Indre, au bord de la Creuse (rivière) et l’Indre-et-Loire. Le terrain (Coudon) devait être quelque part à cet endroit.
« Je relève dans mon livre que j’avais trouvé quatre aéroplanes (je dirais maintenant « soi-disant » car il y en avait au moins un qui ne volait pas du tout) affectés à Pontlevoy en 1910. Le père d’Abel Anjorand (à Chargé en Touraine) a vu au moins un premier aéroplane vers 1910 prenant un cap vers Tours, en provenance (probable) de Pontlevoy d’après sa description car il était juste en-dessous de l’appareil, sur la route longeant le côté ouest du cimetière de Chargé. »
Est-ce que Maxime Lenoir était mécanicien à Pontlevoy ? La famille l’a évoqué sans être catégorique. Avec Didier Lecoq, nous n’avons jamais pu démontrer cela.
Je pense de plus en plus à un terrain de dégagement car Abel Anjorand a déjà entendu cette version (page 442). Les Anjorand et les Lenoir étaient de très bons amis ;
« René Anjorand (mon père), en 1914 avait 15 ans, souvent, il m’a raconté l’épisode ou Maxime Lenoir est venu à la Girardière (ou mon père est né). Il me racontait aussi le passage des avions qui allaient de Parçay-Meslay à Pontlevoy ou se situait l’aérodrome de dégagement. Les pannes arrivaient souvent et les avions atterrissaient à la Girardière (en bordure nord de Chargé). Les ailes de l’avion étaient démontées et, poussé dans la grange, l’avion attendait la venue des mécaniciens. »
En entamant cet article nous hésitions entre l’activité aérienne intense et de longues phases de calme et au vu des éléments, c’est cette seconde hypothèse qui semble prévaloir. Néanmoins, lorsqu’on situe les évènements (dès 1910 tout de même) le village de Pontlevoy fut vraisemblablement l’hôte d’un des premiers aérodromes ainsi qu’une des premières écoles d’aviation même si le directeur n’était pas breveté.

Les sites internet qui évoquent Pontlevoy
Pour le Centenaire de l’aérodrome de Pontlevoy 1910-2010, la commune de Pontlevoy, aidée par quelques associations, les Archives Départementales, le Conseil Général, a organisé des manifestations pour fêter l’événement et faire revivre ce passé si proche mais un peu oublié.
https://aeroplanedetouraine.fr/escrocs/ (site de Didier Lecoq), que nous remercions pour ses informations
https://www.aerosteles.net/stelefr-pontlevoy_terrain
http://www.culture41.fr/Archives-departementales/Decouvrir-et-transmettre/Visites-et-service- educatif/Expositions-itinerantes-realisees-par-les-Archives-departementales
http://saintgeorgesdedidonnehier.blogs.sudouest.fr/archive/2015/06/29/l-aviateur-gibert-et-son-bleriot-1910- 1038472.html
https://www.defense.gouv.fr/air/actus-air/hommage-au-capitaine-bellenger-sur-la-base-aerienne-105-d- evreux
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/laval-53000/des-aviateurs-mayennais-dans-la-grande-guerre- 5997200
http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/departement78.htm
https://www.asoublies1418.fr/images/Cahiers/N2-Cahier/donnez_des_avionsp29.pdf
http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/debut_aviation_militaire5.htm
http://cps89.free.fr/PDF/Revue_n71_g.pdf
http://www.historim.fr/2013/12/jean-ors-un-parachutier-isseen.htm

Bibliographie

  • Livre – Pontlevoy, un village de France 1902/1936 – J.M. Couderc (1996)
  • Archives du journal La Dépêche du Loir et Cher
  • Journaux l’Auto, le progrès du Loir et Cher
  • Fonds René Crozet 1915
  • Livre – Une autre histoire de l’aviation – Toni Giacoia (2016), pages 324-327, 359, 442.