René Pelletier

Un habitant de Bertry construisit son « Pou du ciel » (1936)

(Source : Cambrésis Terre d’Histoire n° 56)

Roger Druine, qui devint en 1936 le plus jeune constructeur aéronautique du monde. Dans les mêmes années, un autre membre de l’Union Aéronautique du Cambrésis, René Pelletier, originaire de Bertry se distingua également en construisant lui-même un « pou du ciel ».

Qu’est-ce qu’un « Pou du ciel » ?

Le Pou-du-ciel est le petit nom qui fut donné par Henri Mignet (1893-1965), constructeur amateur d’avions (depuis 1912) à un avion de sa conception, le modèle HM-14, ce qui fit de lui « le père de l’aviation populaire ».
C’est le 10 septembre 1933 que Mignet effectua le premier vol du HM-14 (Pou-du-ciel formule définitive) construit en un mois, en 1934 qu’il publia un livre imprimé intitulé Le Sport de l’air consacré au HM-14 et qu’il présenta son pou du ciel au 14e Salon de l’aéronautique. Cet avion conçu dans un esprit de simplicité, de sécurité et de faible coût fut plébiscité par les jeunes amateurs d’aviation qui tentèrent d’en faire des reproductions. Tel fut le cas du bertrésien René Pelletier
En 1936, on vit même l’abbé Marcq, curé de Villers-Guislain exposer un « Pou du ciel de Niergnies » dans le chœur de son église à l’occasion d’un service religieux en hommage au glorieux Mermoz disparu au large de Dakar, à bord de son hydravion « la Croix du Sud » !.

Les débuts de René Pelletier

René, de son vrai nom Emile Horace Pelletier naquit à Bohain-en-Vermandois le 24 juin 1904, Au début des années 30, il habitait Bertry et exerçait la profession d’ouvrier-mécanicien. Autodidacte ingénieux, il était alors soucieux de réaliser son rêve : construire un petit avion équipé d’un bicylindre.
Marié depuis 1927, René fit sa construction en cachette dans le petit grenier de son habitation. Il y entassa bois, ferrures, vis, clous, toile, etc, et après sa journée, avec patience, avec persévérance, il assemblait tout cela et petit à petit, l’appareil prit forme. « Après des mois de ce travail, le plus souvent nocturne, le montage, puis le réglage en furent faits et c’était un spectacle peu banal de voir cet appareil en ordre de vol enfermé dans ce minuscule grenier qu’il emplissait entièrement : on aurait dit un aigle en cage. .. »

Suite à la cérémonie d’inauguration de l’Union Aéronautique de Cambrai à Niergnies, le jour de Pentecôte 1935, le président Preux commanda un avion Potez 60 qui arriva le 24 juillet 1935.

Un des premiers vols sur le terrain de Niergnies
(Source : Cambrésis Terre d’Histoire n° 56)

En 1936, douze pilotes volaient régulièrement et trois diplômes étaient obtenus par Geneviève Seillier (future pilote militaire), Gaston Taquet et Georges Watripont. C’est dans ce contexte que quelques pilotes décident de créer une section d’aviation légère et se lancent dans la construction de « Pou du ciel ». Mignet vend maintenant ses plans et procède lui-même aux essais. C’est ainsi qu’il viendra à Cambrai réceptionner trois créations, celles de Bleton, Langelin et Carpentier
En réalité, il y en quatre, car notre ami René Pelletier, de Bertry vient de terminer son exemplaire, mais il ne peut le montrer à Henri Mignet. Et pour cause, les planches, les lattes, le contreplaqué étaient devenus une grande aile de six mètres d’envergure. Pelletier avait construit son « Pou du ciel » dans son grenier, mais était maintenant catastrophé, car il fallait démonter le toit de sa maison pour extraire l’avion ! Mignet repartira donc sans voir la merveille, mais qu’importe… une saignée fut faite dans le mur sous la gouttière, et c’est par là, soutenue par des perches que la grande aile sortit du grenier. Le reste, carlingue et moteur furent descendus tant bien que mal par l’escalier.
Les essais de roulement au sol eurent lieu dans diverses prairies mais le moteur de motocyclette se révéla de force insuffisante pour espérer l’envol. Il fallut envisager l’achat coûteux d’un petit moteur d’aviation. L’appareil fut exposé dans diverses villes et villages et les modestes droits d’entrée se transformèrent en un superbe moteur 3 cylindres 2 temps de 27 chevaux (4 chevaux fiscaux). L’hélice avait été taillée par notre camarade avec l’aide généreuse d ’un adroit artisan-menuiser.
C’est l’adjudant Jean Grenez, déjà pilote pendant la guerre de 1914-1918 et membre de l’aéro-club de Niergnies qui lui prodigua ses conseils techniques et l’encouragea dans sa démarche. A force de ténacité, il parviendra non seulement à le construire, mais également à voler à bord de son appareil.Il apprit à le piloter seul, sans passer par l’école de pilotage, trop coûteuse pour lui et il y parvint…
Notre ami n’ayant jamais appris à piloter, les essais furent laborieux. Ils lui permirent de se familiariser avec la conduite du moteur, avec les réactions du manche à balai. Il apprit ainsi à rouler droit sur un but fixé. Il faisait ainsi petit à petit son apprentissage… La première fois, c’est le chef pilote Jean Francois qui réceptionna l’avion de René à sa façon en le faisant tournoyer plusieurs fois au dessus-de la ville de Cambrai, sous les yeux éberlués de la population.
Un beau jour, l’appareil aidé peut-être par une bosse du terrain, décolla, monta rapidement à une dizaine de mètres. René, surpris par cette soudaine bonne volonté rendit trop la main, ne redressa pas à l’approche du sol et percuta violemment : dégâts considérables. On ramena le tout pour réparations au village, et quinze jours après, le petit avion reprenait le chemin de Niergnies. Ce furent alors de vrais vols, de plus en plus prolongés : notre ami savait piloter son avion. Il se produisit bénévolement dans plusieurs manifestations organisées sur le terrain et il en constituait l’attraction.
Un autre jour, il décida d’aller survoler son village : voyage de 50 kilomètres aller-retour qu’il accomplit parfaitement.
En 1938, le M.A.C.C. de Niergnies organisa une propagande aérienne sur l’aérodrome. Cette fête locale toute gratuite comportait des concours de modèles réduits qui réunit plus de 100 appareils, des vols d’avion légers et de tourisme avec la participation des clubs voisins d’Albert, Amiens, Péronne, Roye, Douai, Saint-Quentin, Valenciennes.

Puis, ce fut la guerre, l’occupation du terrain par l’aviation militaire. Il monta seul rechercher son appareil et c’est derrière sa motocyclette que « le Pou du Ciel » fut ramené sur son lieu de naissance. Ce fut son dernier voyage car les Allemands à leur arrivée dans le village découvrirent cet étrange et inoffensif appareil, y mirent le feu.
Ce fut la fin d’un beau rêve !

Didier Despagne

Article réalisé en complément du livre Collection Aérodrome n°9 Cambrai – Niergnies.

Parution prévue septembre 2020