L’aérostation à Maubeuge

La première armée de l’air
En novembre et décembre 1783, les premiers envols de ballons gonflés d’air chaud ou d’hydrogène, suscitent un enthousiasme extraordinaire en France et dans toute l’Europe. Dans les années qui suivent, tout ce qui peut être fait avec des aérostats est entrepris, ascensions scientifiques, vols de longue durée, traversée de la Manche, etc.

Des applications militaires sont imaginées, elles deviennent réalité en 1794, avec la création d’une compagnie d’aérostiers militaires, ancêtre de toutes les armées de l’air. L’aventure dure sept ans.

La République est en guerre, les Autrichiens assiègent Maubeuge. En mai 1794, les aérostiers, commandés par Jean-Marie Coutelle, s’installent dans le jardin du collège, fabriquent de l’hydrogène et gonflent leur ballon, l’Entreprenant.

La première ascension a lieu le 14 prairial an II du calendrier révolutionnaire (2 juin 1794), à 18h30. Le ballon, retenu au bout d’une corde, monte à plus de 300 mètres, avec deux hommes à bord. Des signaux permettent aux observateurs de communiquer avec le sol. Très bon engin d’observation, le ballon joue aussi un rôle psychologique, donnant confiance aux assiégés et démoralisant leurs adversaires.

Origine : Livre SELLE DE BEAUCHAMP (baron de), Souvenirs de la fin du 18ème Siècle.

Extrait des mémoires d’un officier des aérostiers

Le 22 juin, l’Entreprenant est transporté de Maubeuge à Charleroi en une journée, un tour de force car le ballon gonflé est maintenu près du sol par les aérostiers en marche. Quelques jours plus tard il participe à la bataille de Fleurus.

Ensuite les aérostiers accompagnent les armées de la République qui s’avancent en Allemagne, d’autres ballons sont mis en service, certains transitent par Maubeuge où le four construit dans les jardins du collège permet de les gonfler.

Maubeuge garde le souvenir de Coutelle, le collège où il a utilisé l’Entreprenant porte son nom. Mais pour une raison inconnue, Jean-Marie Joseph Coutelle est devenu Ernest Coutelle.

Des ballons aux dirigeables
Au 19e siècle, les ballons sont utilisés pour des observations scientifiques ou des vols sportifs, mais il leur manque un moteur pour se diriger. Des essais sont effectués avec des moteurs électriques ou à vapeur. En 1884, le dirigeable La France, propulsé par un moteur électrique, vole avec succès. Mais il a une autonomie limitée, le moteur est trop lourd.

La solution apparaît avec les premiers moteurs à essence, assez légers pour équiper des ballons. Les premiers vrais dirigeables prennent l’air, ils sont tout d’abord civils, puis très rapidement militaires.

Le Dupuy de Lome, maintenu au sol par des soldats. La manœuvre d’un appareil de cette taille, qui ne pèse presque rien, est délicate. Elle est confiée à une équipe spécialement entraînée

(Carte postale (14 x 8 cm) de la collection de Philippe Nicodème)

En 1905, La France est le premier pays à se doter d’un dirigeable militaire, qui effectue une campagne d’essai à Toul. En 1907, le Patrie, second dirigeable militaire français, est affecté à Verdun, où est construit le premier centre d’aérostation militaire.

Verdun et Toul sont près de la frontière (différente de celle d’aujourd’hui). L’Allemagne s’inquiète et construit à son tour des dirigeables, en particulier les Parseval.

Puis viennent les zeppelins. Le comte Zeppelin n’est pas un inventeur, il laisse à des ingénieurs le soin de construire les dirigeables qui portent son nom. Mais il assure très efficacement la promotion de « ses » dirigeables qui portent son nom, Zeppelin devient rapidement un nom commun, fierté de toute l’Allemagne. Et sujet d’inquiétude pour les autres pays.

Le centre d’aérostation
En France, des centres d’aérostation sont construits le long de la frontière de l’Est, à Verdun, Toul, Epinal, Belfort. La décision de construire un hangar à dirigeables à Maubeuge est prise en 1910.

Les travaux commencent en 1911. La charpente est fabriquée par la Société des Ateliers de Constructions d’Hautmont, qui devient plus tard Schwartz Hautmont, le montage est assuré par la société Devanlay, d’Héricourt (Haute-Saône).


(Carte postale de la collection de Philippe Nicodème)

En 1913 le hangar est agrandi pour accueillir des dirigeables plus grand qui sont à l’étude. L’allongement est réalisé en reculant le pignon arrière et en intercalant plusieurs travées. La longueur est portée à 151 m.

Les travaux se poursuivent jusqu’en 1914, avec la construction des installations annexes destinées à fabriquer de l’hydrogène et à assurer l’entretien des dirigeables. En cas de guerre, le centre d’aérostation est autonome.

Le Dupuy-de-Lôme… et les autres
Fin 1912, le hangar accueille le Dupuy-de-Lôme. Rapidement adopté par la population, il devient « le » dirigeable de Maubeuge et la presse locale relate chacune de ses sorties.

Long de 89 m, propulsé par deux moteurs de 120 CV, le Dupuy-de-Lôme vole à 55 km/h. Il porte le nom de l’ingénieur qui a construit l’un des premiers dirigeables, en 1871. Début 1914, il est modifié, la nacelle est raccourcie pour améliore l’aérodynamique.

(Coll Philippe Nicodéme)

Deux autres dirigeables viennent également à Maubeuge. Le Fleurus, du 6 octobre au 27 novembre 1913, en attendant que l’agrandissement du hangar de Verdun, où il est basé, soit terminé. Et le Montgolfier, qui remplace le Dupuy-de-Lôme lorsque celui-ci est modernisé, du 20 février au 14 avril 1914.

Le hangar à dirigeable de Maubeuge permettait de protéger deux dirigeables

(Dessin de reconstitution de Philippe Nicodème)

Août 1914
Le 1er août 1914, Le Dupuy-de-Lôme, est rejoint par le Montgolfier. Les deux appareils ont ordre d’effectuer des reconnaissances sur la région de Liège et la frontière du Luxembourg, pour déterminer l’importance des troupes allemandes qui s’avancent en Belgique. Ces missions dépassent les possibilités des appareils et elles ne sont pas exécutées.

Les Allemands approchent, les dirigeables de Maubeuge effectuent trois reconnaissances de nuit, bombardant au passage des bivouacs allemands. Les équipages sont aguerris, mais le repérage est difficile.

Au retour de sa seconde mission, le Montgolfier se perd dans le brouillard. Il rentre finalement par Beaumont. Les troupes françaises n’ont pas été prévenues et elles redoutent une attaque de zeppelin. Elles ouvrent le feu, le dirigeable se pose en catastrophe à Colleret. Démonté et évacué, il reprend du service à Issy-les-Moulineaux.

Le Dupuy-de-Lôme décolle le 24 août, en fin d’après-midi, pour se mettre à l’abri au camp de Châlons (Mourmelon). Il est repéré en approchant de Reims, où l’on croit à une attaque allemande. Un soldat tire et met une hélice hors service, le Dupuy-de-Lôme dérive sur la ville, tout le monde tire, le commandant en second est tué. Le dirigeable, endommagé par un atterrissage d’urgence, n’est pas remis en état.

A Maubeuge il ne reste que des ballons captifs, anciens et en mauvais état. Quelques tentatives sont faites pour les utiliser, sans grand résultat.

Les zeppelins à Maubeuge
Les Allemands occupent Maubeuge, et prennent possession du centre d’aérostation. Ils agrandissent le hangar d’environ 20 mètres pendant l’hiver 1914-1915, puis une nouvelle fois en 1916. Le hangar atteint finalement 226 m de long.

Photo exceptionnelle de Maubeuge en 1915. Le centre d’aérostation qui se trouve en haut à droite est à l’emplacement actuel du Pôle Universitaire et du lycée Pierre Forest.

(Coll Philippe Nicodème)

(Coll Philippe Nicodéme)


Intérieur du hangar

(Coll Jean-Louis Roba)

Un premier zeppelin arrive en mars 1915, le Z XII. Il effectue quelques missions depuis Maubeuge, dont un bombardement de Calais dans la nuit du 17 au 18 mars. Durant cette opération, le Z XII utilise pour la première fois une nacelle d’observation. Celle-ci est descendue au bout d’un câble, tandis que le dirigeable reste au-dessus des nuages. Depuis la nacelle un observateur guide le dirigeable par téléphone et déclenche le bombardement.

En juillet 1915, le Z XII part pour le front de l’Est. Trois autres dirigeables, les LZ 74, LZ 79 et LZ 88, viennent à Maubeuge. Ils ne font que de courts séjours, le centre d’aérostation est fréquemment survolé par des avions alliés et il est surveillé par des réseaux d’espionnage.

Le 21 février 1916, le LZ 88 décolle de Maubeuge, pour attaquer, avec 3 autres dirigeables partis de Namur et Mannheim, le réseau ferré desservant Verdun. Les zeppelins sont guidés par radio, mais les Français ont un réseau d’écoute très efficace, et suivent les assaillants durant tout leur vol. C’est le début de la guerre électronique. Le raid est un échec total, le LZ 77 est abattu en flammes, le LZ 95 est détruit à l’atterrissage, quant au LZ 88, il revient à Maubeuge et largue ses bombes dans la campagne avant de se poser.

En 1918, le hangar est utilisé pour l’assemblage d’avions. Amenés d’Allemagne en caisse, les appareils sont montés et essayés à Maubeuge avant d’être convoyés vers les terrains d’aviation du front.

Le retour des zeppelins
En 1920, l’Allemagne livre deux zeppelins à la France, au titre de dommages de guerre.

Le LZ 72, un appareil de dernière génération, est en construction au moment de l’armistice. Parti la veille de Friedrichshafen, sur les bords du lac de Constance, Il arrive à Maubeuge le 11 juillet 1920, car le hangar qui lui est destiné, à Cuers, n’est pas terminé. Il reste un mois à Maubeuge, la population vient le voir pendant une « journée portes ouvertes ».

(Coll Philippe Nicodéme)

Le 10 août 1920, à 5 heures du matin, le L 72 est sorti du hangar. Il décolle pour Cuers-Pierrefeux, dans le Var. L’équipage n’a jamais piloté un dirigeable de cette taille et réalise un véritable exploit en traversant toute la France, survolant au passage plusieurs grandes villes.

Le L 72 est inutilisé pendant plusieurs années. Remis en état, modifié et rebaptisé Dixmude, il effectue des vols sur la Méditerranée et l’Afrique du Nord. Il disparaît en mer en 1923, les 50 hommes d’équipage périssent.

Le second zeppelin livré à Maubeuge, le LZ 113, est un modèle plus ancien. Il est démonté et les éléments servent à des essais de résistance . La nacelle arrière est conservée, on peut la voir, et la visiter, au Musée de l’air et de l’espace du Bourget.

(Coll Philippe Nicodéme)

Le hangar sert ensuite de garage pour les régiments de chars d’assaut stationnés à Maubeuge. Il n’est pas adapté à cette fonction et il est question de le démolir, mais rien n’est fait par manque de crédits. Il disparaît pendant la seconde guerre mondiale, il est semble-t-il démonté, peut-être à des fins de récupération, puis finalement ferraillé.

 

Philippe Nicodème

Auteur du livre : »Dans le ciel de Maubeuge » – Pour toute commande, nous contacter