Un certain samedi 29 mai 1915 à Romorantin

Les dossiers de René Crozet

L’histoire de ce dossier et la mise en valeur de ce trésor
Juste avant le passage en l’année 2000, un descendant de René Crozet apporte ce dossier volumineux dans le centre Onera de Meudon-la-Forêt. «Faites-en bon usage» dit-il avant de partir sans laisser d’adresse, hélas. Il n’est pas dans les missions de l’Onera d’exploiter ce volumineux dossier mais il a néanmoins été conservé précieusement durant des années avant d’être confié à l’association Anciens-Aérodromes pour valorisation.

René Crozet

Une exploitation conjointe de ce dossier est en cours avec l’association Aeriastory

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Un certain samedi 29 mai 1915 à Romorantin

La lecture du carnet n°2 de René Crozet se poursuit et l’on découvre au fil des pages de nouveaux évènements et des personnages qui, au fil du temps, deviendront des héros de la guerre 14-18.

René Crozet le 29 mai 1915

René Crozet a 19 ans ans depuis le 26 avril. Il passera son BAC fin Juin 1915 à Paris. Il prépare cet examen à Romorantin dans une maison proche du terrain d’aviation.
René est très souvent dans le hangar du terrain d’aviation. Il ne vient pas pour regarder mais participe aux entrées-sorties des avions. Il discute avec les pilotes et participe aux préparations de décollage des aéronefs. Au fil des lectures de ces carnets on apprend que son père était Ingénieur aux Etablissements Normant Frères, et de ce fait il a ses entrées un peu partout. Par 2 fois il accompagne le PDG Monsieur Normant sur les terrains de Avord et de Pontlevoy. Normant Frères est une grande usine de fabrication de draps et qui fait vivre toute la ville. En 1915 l’usine tourne jour et nuit pour fournir à l’armée le drap bleu des Poilus.

Le terrain d’Avord : Infos

A la lecture du carnet n° 2 de Crozet on sait maintenant que la grande activité, quasi journalière d’Avord et par ricochet celui de la Butte de Romorantin, ce sont les épreuves du brevet militaire. Aussi bien dans l’épreuve dite du triangle de 200 km en 48 h que celle de la ligne droite, dans tous les cas passe à Romorantin. La plupart des élèves viennent de l’école d’aviation de Avord. En 1915 l’école possède 255 Blériot, Caudron, Henri Farman, Maurice Farman, Morane-Saulnier, Voisin, REP, Breguet-Michelin) et 366 moteurs. En octobre 1915, l’école formera 34 pilotes militaires et assurera le stage de perfectionnement de 22 supplémentaires.

Epreuves valables du 1er janvier 1915 au 14 décembre 1915 

  • L’examen théorique de 1913.
• Une spirale de 500 mètres – Moteur arrêté avec atterrissage à moins de 200 mètres d’un point fixe.
• Une heure de vol au moins à 2000 mètres d’altitude au-dessus du point de départ ou au cours d’un des trois voyages.
• Trois épreuves de voyage sur la campagne :
• Un triangle de 200 km au moins, en 48 h au plus avec 2 escales intermédiaires obligatoires – Petit côté du triangle 20 km au minimum sur le même avion.
• Une ligne droite de 150 km au moins sans escale, sur le même avion.
• Une ligne droite de 150 km au moins entre le lever et le coucher du soleil avec escale facultative, sur le même avion.

Durant cette année les pilotes se succèdent à Romorantin avec pas mal de casse. René Crozet note quasiment tous les décollages et atterrissages. Il relève les noms des pilotes et leur avion (300 noms dans ce carnet dont les plus grands : Dorme, Guynemer, Heurtaux, Deullin, Carpentier …).

La guerre en 1915

Le front le plus proche à fin 1915 est à Mulhouse. Crozet n’évoque jamais la guerre bien que son frère Jean Paul ait été tué le 9 décembre 1914 dans la Meuse à l’âge de 22 ans.

Au terrain et au hangar le 29 mai 1915

Revenons au terrain avec René Crozet :
• il y est vers 6h du matin
• près de la voie ferrée une masse bleu claire : c’est un Caudron brisé
• c’est le C 304 avec moteur 80 HP
• la cellule est en piteux état, l’hélice a perdu une pale et le le moteur est faussé
• le pilote est indemne, l’accident a eu lieu hier vers 7h du soir
• le pilote est le sergent Dorme qui venait de St Cyr.
• plus de nouvelles ensuite de la part de Crozet : on ne sait pas comment est reparti Dorme.

Le lieu du crash

Crozet décrit précisément où trouver l’avion : en bordure de la voie du BA à 20 m à gauche de la route en montant vers le hangar. Le BA c’est le train Blanc-Argent qui part de Romorantin vers Ecueillé avec arrêt à Pruniers (autorail). D’après Crozet l’avion crut se poser devant le hangar, roula encore 300 m, passa un fossé et culbuta au fonds de la tranchée du BA. Il joint un petit dessin de la position de l’avion. Tout cela recolle bien le plan du terrain qui longe la voie du BA. Dans le document plus bas (Gallica : la Guerre aérienne illustrée) il est noté qu’il y a de la brume depuis Orléans.

Dessin René Crozet

Le portrait de René Dorme par René Crozet

« Dorme, pilote de Caudron de St Cyr, complétait le fameux trio Guiguet-Raty-Dorme.Trapu, blond, l’allure calme, il fut surnommé  » le père Dorme  » et  » l’Increvable  ». Attaché avec ses camarades à la défense de Paris sur Caudron G4, il passa ensuite au front à la fameuse escadrille des cigognes sur Nieuport et Spad . Chasseur émérite il se classa longtemps avec Guynemer et Nungesser. Sa méthode consistait à voler seul très loin dans les lignes ennemies. Il fut tué en mai 1917« 

Le Brevet militaire de René Dorme des 28-29 mai 1915

On est bien dans l’épreuve de la ligne droite : St Cyr, Orléans et Romorantin. (à vol d’oiseau 200km). On a le temps de 2 h de vol : tout cela est conforme à la vitesse du Caudron. Si on revient à la formation de René Dorme, on peut lire :

« Il quitta Buc pour se rendre à l’école de Pau où il passa les épreuves du brevet civil sur Blériot XI (moteur Gnome). Son brevet (n° 1933) lui fut remis le 6 mai 1915. Le directeur de l’école donne son appréciation : « Très bon élève, réfléchi, calme et droit. Doit faire un excellent pilote. » De retour à Saint-Cyr, il passa son brevet militaire (n° 1046), le 5 juin 1915 ».

« René Pierre Marie Dorme, aviateur français, né le 30 janvier 1894 à Eix-Abaucourt dans la Meuse, a été abattu aux alentours de Reims, le 25 mai 1917. Neuvième as français dans les communiqués officiels de la Première Guerre mondiale il était facilement reconnaissable à sa canne qui ne le quittait jamais ».

Le sous-lieutenant Dorme – Livre d’Or de la société Hispano-Suiza – 1924 – Page 62 – Collection 2A

En anecdote ce samedi 29 mai 1915, un autre avion fait escale à Romorantin : c’est le Morane Saulnier MS 156 de Heurtaux. Il est en stage de perfectionnement à l’école d’aviation militaire d’Avord du 11 au 31 mai 1915. Là il a atterri à Romorantin pour faire un plein d’essence et repartir vers Avord.

 

Jérôme Grosse – membre 2A
d’après le Fonds Crozet : Jean Luc Charles – membre 2A