Historique – Loyette

Retour sur le passé aéronautique de la Plaine de l’Ain

La Plaine de l’Ain se situe dans le département de l’Ain (01) à environ 30 kilomètres à ENE de Lyon et à 15 kilomètres au SSW d’Ambérieu en Bugey. Vaste plaine d’origine glaciaire en rive droite du Rhône en amont du confluent avec la rivière d’Ain située entre les localités de Loyettes à l’ouest, de Méximieux au nord et Lagnieu à l’est.

Le 28 avril 1910, Monsieur B. Dufour, modeleur-mécanicien à Villeurbanne, demande à la municipalité de Loyettes de disposer des terrains communaux en friches au lieu-dit ‘La Mière’ en vue de faire des ‘essais d’aviation’. En date du 20 octobre 1910, Monsieur Dalphin, maire de Loyettes, donne ce terrain à bail à Messieurs Eparvier et Dufour .pour une durée de trois ans pour un franc annuel.

1909Eparvier
Aéroplane Eparvier 1909

1911Eparviersmall Aéroplane Eparvier 1911

Monsieur Eparvier, industriel à Manthes dans la Drôme, construisit plusieurs aéroplanes.

Monsieur Dalphin, maire de Loyettes, donne à bail, en date du 20 octobre 1910, pour une durée de 3 ans, le terrain appartenant à la commune situé au lieu-dit «La Mière», au sud de la plantation de pins et jusqu’au chemin de la Grange Rouge. Ce bail, dressé pour le prix annuel de un franc, est accordé à Messieurs Dufour et Eparvier.

Par une lettre du 7 janvier 1911 adressée par Monsieur Dufour à Monsieur le Maire de Loyettes, celui-ci présente Monsieur Colomb, pilote aviateur brevet n° 310 en date du 7 décembre 1910, afin qu’il obtienne les mêmes conditions d’implantation sur le terrain de «La Mière». Entre-temps, Monsieur Dufour se présente «constructeur d’appareils aériens» et souhaite confier à Monsieur Colomb la création d’une école de pilotage civil et militaire.

En novembre 1911, Monsieur Dufour dispose dans ses hangars de :

– 2 biplans, dont un monté par Legagneux lors de la Grande Semaine de l’Aviation Lyonnaise en mai 1910, et un second pour l’école de pilotage.

– 1 petit monoplan.

Que s’est-il passé à l’automne 1911 ? Le 16 octobre 1911, Monsieur L. Demaille, Directeur de l’Ecole Pratique d’Aviation du Sud-Est à Loyettes-Aviation, informe la municipalité de Loyettes, de l’installation de son école qui dispose de quatre aéroplanes, et de l’organisation d’une fête aérienne les 11 et 12 novembre, sur un terrain de particulier.

Au cours de ce meeting, plusieurs aviateurs essayèrent de s’élever, mais ils rouleront sur plusieurs centaines de mètres. Seul Béard, un bugiste, s’élève  à 400 mètres de hauteur, traverse le Rhône, revient par Blyes et atterrit à son point de départ sous les applaudissements de la foule.

Paul Mayet dans son historique «L’Aviation à Loyettes», nous parle de cette époque:

«Les Anciens peuvent se souvenir des pilotes instructeurs : Vallet, Fouin, Allavoine et Charpiat, qui ne partirent qu’en 1914»

De nombreux constructeurs se pressent à « Loyettes-Aviation », en vue de créer leur école de pilotage : Joseph Barou, Charles Audenis, etc…

Avec la déclaration de la guerre, au cours de l’été 1914,  l’activité aérienne s’interrompt.

Au cours du premier semestre 1918, un ordre de réquisition des terrains est prononcé par l’Armée en vue de l’extension sur des terrains à Loyettes d’une annexe de l’École d’Aviation Voisin implantée à Ambérieu en Bugey (Ain).  Les fossés sont comblés, les haies arrachées, une partie de la plantation de 10000 pins d’Autriche réalisée par la municipalité de Loyettes au début du siècle est coupée, des travaux de nivellement effectués. Ces implantations sont réalisées aux lieux-dits « La Mière » et « La Gaillarde », à la limite des communes de Loyettes et Saint Vulbas. Des hangars démontables et des baraquements sont édifiés en bordure de la route de Loyettes à Lagnieu.

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Paul Mayet dans son historique ‘L’Aviation à Loyettes’ cite:

«Les gamins de l’époque  s’extasiaient devant les aéroplanes Voisin à hélice en arrière du pilote, les Caudron, les Nieuport et les Blériot. Ils n’allaient pas vite ces ‘zincs’, mais quelles acrobaties, ils permettaient aux casse-cou comme Monego, Devillers, Bleuze et d’autres. Devillers se payait même le luxe de chasser les perdrix en faisant du rase-mottes. Souvent du bois cassé, pas d’accidents graves. Sauf quand l’appareil de Devillers tomba dans le Rhône, à la hauteur de la ferme de Grange-Rouge. Le moniteur se sauva à la nage, mais l’élève paniqué se noya»

Au 1er octobre 1918, l’Ecole d’Aviation Voisin à Ambérieu en Bugey (Ain) compte 27 officiers, 1054 hommes de troupe, 600 civils dont 154 hommes, 264 femmes et 182 troupes indigènes, soit au 1681 personnes. A cette date, 480 élèves-pilote qui sont à l’entraînement en vue d’obtenir leur brevet de pilote militaire disposent de 152 appareils, principalement des Voisin.

L’école annexe de pilotage de Loyettes est commandé par le Lieutenant Ladougne. Sur ce terrain d’aviation évoluent des appareils du type ‘rouleur’ aux ailes coupées;

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une grande partie des terrains fut restituée aux propriétaires. Seule, une bande de terrain resta acquise à l’Armée pour l’atterrissage des avions de l’Ecole de pilotage d’Ambérieu en Bugey.

Le 6 octobre 1936, un bail est passé entre la commune de Loyettes et l’Aéroclub du Rhone et du Sud-Est, en vue de la location de 61 hectares de terrain situé au lieu-dit ‘La Mière’. L’autorisation d’un aérodrome privé est délivrée le 13 mars 1937 par la Préfecture de l’Ain. Des activités de vol à voile ont lieu au cours de l’été et le 20 juin, une manifestation aérienne a lieu avec la présence du roi de la voltige ‘Marcel Doret’. C’est à cette époque que deux aviateurs locaux, Marcel Bon de Loyettes et Ricki Savoie  passent à tour de rôle sous le pont suspendu de Loyettes.

A l’automne 1937, les projets de création d’un terrain militaire d’aviation réquisitionnent     45 hectares sur les disponibilités de l’Aéroclub du Rhône. La Préfecture de l’Ain procèdent aux expropriations d’environ 109 hectares aux lieux-dits ‘La Mière’ et ‘La Gaillarde’. D’autre part, un projet de création d’un champ de tir aérien situé dans un triangle Blyes-Marcillieux-Saint Vulbas  prend corps. Il s’agit de doter la base aérienne de Bron  d’un champ de tir qui ferait pendant au champ de tir de La Valbonne utilisé par les troupes de la garnison de Lyon.

Le 30 août 1939, la Compagnie de l’Air 152/105 prend possession du terrain d’opérations aériennes de Loyettes. Les 70 à 80 hommes qui constituent cette compagnie se répartissent dans diverses fermes des environs, mais principalement à la ferme de ‘La Mière’. Une ‘popote’ est installée au hameau des Gaboureaux. Quelques baraquements sont édifiés, des emplacements de mitrailleuses antiaériennes sont installés, les soutes à essence enterrées sont approvisionnées, la circulation est interdite sur la route de Loyettes à Lagnieu dans sa traversée du terrain d’aviation.

Dans la deuxième quinzaine de janvier 1940, l’Escadrille de chasse de nuit 5/13, dotée de six  bimoteurs Potez 631 s’installe sur le terrain. Cette unité reçoit le baptême du feu, le 1er et 2 juin 1940, en intervenant contre les bombardiers allemands qui attaquent la région lyonnaise. Quelques bombes tombent sur le terrain et endommagent les appareils au sol. L’unité abandonne le terrain, le 15 juin 1940.

Alignement de Potez 631 (Coll Georges Rigaud)

Au printemps 1941, l’Etat loue à la Société de Travaux Publics ‘Chemin’ l’ensemble des terrains constituant la plate-forme aérienne de Loyettes pour y entretenir une activité de fauchage et d’élevage de moutons.. .

Un parachutage d’armes a lieu dans la nuit du 28 au 29 mai 1942 pour le compte du réseau ‘Coq Enchaîné’. Le message de confirmation qui a été émis par la BBC était  « Nicolas dit salut aux vivants ». La localisation exacte de ce parachutage pourrait être sur le lieu du futur terrain ‘Figue ».

A son retour d’Angleterre, le 31 août 1942, Henri Morier constitue, au sein du réseau ‘Phalanx’, une équipe qui est chargée de localiser des terrains de parachutage et d’atterrissage. Pierre Delaye, radio et officier d’opérations aériennes, et son frère Jean se retrouvent à Loyettes chez Marius Saby  pour établir les liaisons radio avec Londres. Ils font établir l’homologation du terrain ‘Lièvre’  qui se situe  au lieu-dit ‘La Gaillarde’ entre le Rhône et la route de Loyettes à Lagnieu.

Localisation Paul Mathevet

En octobre 1942, sur ce terrain, le parachutage d’un agent et de 2 ou 3 colis dans le cadre de l’opération ‘Beaujolais’ devait avoir lieu. Le message de confirmation était « Le Beaujolais est fruité et sera bu avec le Lièvre », mais l’opération n’ayant pu avoir lieu à la date indiquée, la BBC transmit le message d’annulation « Le Beaujolais est glacé et sera bu avec le Lièvre »

La première opération aérienne, du nom de code ‘Corinne’ a lieu dans la nuit du 14 au 15 janvier 1943, sur le terrain ‘Lièvre’. Cette nuit là, à bord d’un Lysander, c’est un baptême pour Hugh Verity, car c’est son premier atterrissage clandestin en France. Le premier d’une longue série d’opérations, plus de 25.

La deuxième opération aérienne, du nom de code ‘Antinéa’ se déroule au cours de la nuit du 15 au 16 avril 1943, sur le terrain ‘Lièvre’.  Un Lysander piloté par le Capitaine Bridger  se pose. Pas de passager à l’arrivée, seulement quatre colis, mais au départ, le fils aîné de Christian Pineau, Robert Wackherr et Henri Morier.

Au premier trimestre de l’année 1943, les militants du réseau de Résistance ‘Combat’ firent homologuer par la Royal Air Force quatre terrains situés dans le triangle Meximieux/Lagnieu/Pont de Chéruy :

  • Terrain ‘Cassiopée’ à environ 4 kilomètres au nord est de Loyettes.  Le terrain ‘Lièvre’ situé à 100 mètres de l’autre côté de la route par rapport au terrain ‘Cassiopée’ est également homologué.
  • Terrain ‘Croix du Sud’ à environ 8 kilomètres au nord est de Pont de Chéruy.
  • Terrain ‘Sagittaire’ à 8 kilomètres au sud est de Méximieux. Ce terrain fut refusé à l’homologation suite à l’examen par photos aériennes, la RAF proposa un terrain plus au sud, ‘Sagittaire bis’, à 3 kilomètres au nord de Saint Vulbas.
  • Terrain ‘Figue’ à environ 3 kilomètres au nord de Saint Vulbas

En octobre 1943, la Société de Travaux Publics ‘Chemin’ fait part à l’Etat que les autorités d’occupation ont progressivement neutralisé le terrain en mettant en place des chevaux de frise et des barbelés, ce qui rend le fauchage impossible. Très certainement, les autorités allemandes ont eu connaissance de ces activités aériennes, aussi le terrain est neutralisé par la construction de massifs en pierres sèches de un mètre de hauteur disposés en spirales et espacés de trente mètres environ, ces massifs sont coiffés d’un trépied en bois de deux mètres de hauteur pris dans les blocs de pierres.

Obstacles sur l’aérodrome contre l’atterrissage clandestin d’avions anglais (Coll Georges Rigaud)

Le premier atterrissage, opération ‘Buckler 1’, sur le terrain ‘Figue’ fut programmé pour la nuit du 16 au 17 juillet 1943 à partir d’un bimoteur Hudson venant d’Angleterre et piloté par le Colonel Fielden avec comme opérateurs au sol : Pery et de Beaufort. Le message d’exécution était « Le jardinier est amoureux ». Ce fut un échec car le pilote n’a pas vu l’indicatif au sol.

La deuxième opération, opération ‘Buckler 2’, sur le terrain ‘Figue’ fut programmée pour la nuit du 24 au 25 juillet 1943 à partir d’un bimoteur Hudson venant d’Angleterre  et piloté par le Commandant Verity avec comme opérateur au sol Paul Rivière. Le message d’exécution était « Le jour se lève ». Opération réussie.

La troisième opération, opération ‘Thicket’, sur le terrain ‘Figue’ était programmée les 27 et 30 mars 1944 pour un doublé de Lysander. La RAF donnait son accord à la condition expresse que l’arbre ou les buissons gênants se trouvant sur le terrain soient coupés. Le 1er avril, l’opération de dégagement était réalisée et l’opération pouvait avoir lieu. Ce n’est que dans l’après-midi du 4 juin, que le message d’accord « Le petit mouton sera tondu » et le message d’exécution « La bergère n’a pas de coeur » étaient passés à la BBC à 13h 30 et à 19 heures, mais pas à 21h 15. Vers 22h 30, une bonne dizaine de personnes étaient arrivées aux Bergeries de Saint Vulbas, à proximité du terrain, il y avait là les responsables de l’opération : Jannick Rivière, André Charlot, Jean Triomphe, ainsi que les sept passagers au départ  et l’équipe de réception. Cette dernière était composée  de la famille d’Emile Barbachou (le père, la mère, la grand-mère et les deux enfants) fermiers demeurant aux Bergeries, Albert Martin et son épouse venant de Lagnieu et Francisque LemariaA venant de Saint Sorlin en Bugey. Sur place, Emile Barbachou confirma que le message n’était pas passé à 21h 15, mais qu’il offrait à tous un casses-croute dans sa ferme. Vers minuit, un des invités, qui était sorti faire quelques pas, entendit  un ronflement et vit deux petits avions tourner autour de la maison. Alertés tout le monde fit des signaux : le chef d’opération installa en hâte son balisage et envoya sa lettre en morse. Les deux appareils se posèrent alors : deux Lysander venant de Calvi en Corse. Dès que les avions furent repartis, Jannick Rivière prit la route pour emmener jusqu’à Lyon les trois passagers arrivés.

La quatrième opération, opération ‘Thicket 2’, sur le terrain ‘Figue prévue à partir de deux Lysander venant de Corse fut tentée une première fois sans succès dans la nuit du 10 au 11 juillet 1944. Le surlendemain, les deux Lysander déposèrent trois passagers. Ces deux appareils étaient pilotés par Georges Libert et Bernard Cordier qui avaient quitté ce terrain le 24 juillet 1943. Les opérateurs au sol étaient Emile Barbachou et sa famille.

Du 12 septembre au 2 octobre 1944, l’US Army Air Force installe, sur l’emprise du terrain d’aviation de ‘La Mière’, entre la route de Lotettes à Lagnieu et le Rhône,. un terrain de campagne doté d’une piste en tôles perforées. Les 523 et 524 Squadron du 27 Figther Group dotés d’une cinquantaine de chasseurs bombardiers P 47 Thunderbolt participent aux missions d’attaque au sol des troupes allemandes en retraite en Bourgogne et Alsace.

P47 en septembre 1944 (Coll georges Rigaud)

En 1947, l’aérodrome de ‘La Mière’ est conservé dans le domaine de l’Etat, le locataire est toujours l’entreprise ‘Chemin’ dont le bail vient à expiration le 31 octobre 1949. En juillet 1952, une lettre du Directeur des Domaines concerne la rétrocession possible à leurs anciens propriétaires des terrains de l’aérodrome de ‘La Mière’. Lors des événements d’Alger, en 1961, le terrain fut à nouveau neutralisé par des chevaux de frise.

Début 1970, à proximité de cet ancien  aérodrome, débutent les travaux de construction de la centrale nucléaire du Bugey. Les landes pierreuses de la Plaine de l’Ain prennent des couleurs avec la mise en culture des terrains, suite à  l’installation d’un réseau d’eau par aspersion.

En 2011, on parle de la mise en place, à proximité de la centrale, de la construction d’un dépôt de déchets nucléaires de 50 années de vie…

Monument  »En reconnaissance aux passeurs du clair de lune »

(Collection Paul Mathevet)

Sources:

  • Notes personnelles de Marius Roche, Georges Libert, Bernard Cordier, Paul Rivière et Hugh Verity
  • « Nous atterrissions de nuit » par Hugh Verity, Arche de Noé, Réseau Alliance » par Marie-Madeleine Fourcade, « Histoire Secrète des Maquis de l’Ain » par Patrick Veyret.
  • Les archives de la commune de Loyettes, du Service du Génie de la XIV ème Région.
  • Contribution à la Mémoire Aéronautique      Groupement Antoine de Saint Exupéry         Les Vieilles Tiges
  • Retour sur le passé aéronautique de la Plaine de l’Ain © Paul Mathevet  03/2011,  mathevet.paul@orange.fr http ://www.les vieilles tiges de Lyon
  • Georges Rigaud (photos personnelles)