Un article en page 3 de la Dépêche de Brest du 18 octobre 1936 décrit l’activité qui, le 18 octobre 1937, aboutira à la mise en service de la BAN de Lanvéoc-Poulmic. Vous noterez que l’article a été écrit juste un an avant l’ouverture de la BAN. Ce premier article sera suivi de l’extrait d’un article du Matin du 29 juillet 1938, environ un an après cette ouverture. Il y a, dans ces deux articles, des détails intéressants sur les infrastructures de cette base.
Introduction :
Les travaux d’aménagement de la base aéronautique de Lanvéoc-Poulmic ont duré plus longtemps qu’on l’avait prévu. Il est probable qu’avions et hydravions ne pourront l’utiliser avant le printemps prochain.
Nul n’ignore que ce retard est dû, en grande partie, au manque de direction unique : l’examen des projets et le contrôle des travaux ayant été confiés au ministère de l’Air, n’attribuant que parcimonieusement, à la Marine les crédits nécessaires, après de longues discussions.
Il a fallu plus de trois ans pour coordonner les efforts permettant de faire correspondre à l’importance de son rôle à l’état de notre aviation maritime. En fait, l’entente entre les ministères de la Marine et de l’Air n’est réalisée que depuis peu, à la suite de décrets préparés par M. Piétri, ratifiés par M. Gasnier-Duparc.
L’aviation maritime autonome dépend toujours du ministère de l’Air, qui la prête à la Marine, mais cette aviation de coopération, comme l’aviation embarquée, est armée par un personnel spécial : par des marins. Le ministère de l’Air continue, en somme, à fournir le matériel mais en se conformant aux demandes de la Marine.
L’entente, la coopération des deux ministères, l’octroi de crédits suffisants, ont enfin permis d’activer les travaux de Lanvéoc-Poulmic et ils marchent aujourd’hui normalement. On sait qu’ils comprennent deux parties : la base d’hydraviation, près du petit port qu’il a fallu protéger d’une jetée et, sur le plateau qui la domine, la base d’aviation avec son vaste terrain d’atterrissage et d’envol.
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Le terrain d’envol
L’aménagement de ce vaste terrain est terminé et, en cas de nécessité, pourrait être utilisé immédiatement.
Il a, à peu près, la forme d’un triangle équilatéral, mesurant plus de mille mètres sur chacun de ses côtés.
Pour le rendre utilisable, il a fallu démolir une trentaine de mille mètres cubes de talus, extraire 2.500 souches d’arbres, déblayer, pour les terrassements, 80.000 mètres cubes de terre, régler et aplanir une surface de 750.000 mètres carrés, la drainer, s’assurer, en y faisant circuler dans tous les sens des automobiles chargées, que les avions pourraient s’envoler et se poser facilement sur toute sa surface. Enfin, faire des semis de gazon qui amélioreront sensiblement la consistance du terrain et le rendront verdoyant lors de son utilisation, au printemps.
Au milieu du triangle, dans un cercle, s’inscriront, en lettres blanches longues de six mètres, les mots «Lanvéoc-Poulmic», visibles à une grande altitude pour permettre aux aviateurs de reconnaître le terrain.
Deux vastes hangars de construction métallique sont édifiés au sommet du plateau et leurs toits arrondis brillent au soleil. (Voir photo ci-dessous).
Bien qu’il ne puisse être question de camoufler l’emplacement de la base désignée, au contraire, par des points de repère, il est interdit de pénétrer sur ces terrains militaires et, à plus forte raison, d’en prendre des photographies.
La base d’hydraviation
Près du petit port dont la construction s’achève, deux vastes hangars sont prévus pour abriter les hydravions. La construction du premier sera prochainement terminée. Il mesure 120 mètres de longueur sur 80 de largeur.
Son toit a une forme étrange. De loin, on le croirait fait de toile grise, dont la rigidité et l’immobilité sous l’action du vent surprennent. II a l’aspect de huit énormes parapluies séparés par des lanterneaux vitrés destinés à éclairer l’intérieur de cet immense hangar dépourvu de piliers.
En réalité, cette couverture irrégulière est en ciment armé, auquel on a donné la courbure d’une toile. Ce procédé nouveau, dû à un jeune ingénieur qui le fit connaître lors d’une exposition internationale à l’étranger, est employé, croyons-nous, pour la première fois en France.
Sans avoir la prétention d’en expliquer la conception technique, disons, en profane, que sa construction est basée sur le calcul préalable de la flexion que prend une toile – la bâche d’un chapiteau de cirque par exemple – flexion lui permettant de se tenir en équilibre sur des points d’appui éloignés.
Construction du Poulmic : vue générale du site et détails de la construction.
(Coll. ARDHAN 05582)
Le calcul minutieux de cette courbure étant d’avance établi et la plongée nécessaire au maintien de l’équilibre de la couverture étant connue, on procède comme dans les autres travaux en ciment armé.
On réalise d’abord le coffrage avec du contre-plaqué pour obtenir la courbure exacte, puis on place le réseau de fils de fer, noyé dans un béton à forte dose de ciment ; le tout épouse la forme du coffrage qui, enlevé 20 jours après, laisse suspendue cette couverture de forme bizarre, épaisse d’une dizaine de centimètres et appuyée seulement sur huit piliers de ciment armé distants les uns des autres de 40 mètres, et ce, dans chaque sens.
À l’intérieur du hangar, on dispose ainsi d’un vaste espace libre qui permettra de garer les trimoteurs et quadrimoteurs de grande croisière : Croix-du-Sud, Cavelier de Cuverville, Guilbaud, etc… de 38 mètres d’envergure, qui, avec les nouveaux hydravions bombardiers, seront affectés à l’escadre de l’Atlantique, placés directement sous le commandement du vice-amiral de Laborde et basés à Lanvéoc-Poulmic.
Habitations pour le personnel
Ces deux hangars achevés, ainsi que magasins, ateliers et casernements, il reste encore à édifier, pour le personnel, des habitations qui s’échelonneront jusqu’au bourg de Lanvéoc.
L’adjudication de ce groupe de maisons doit avoir lieu incessamment, mais l’instabilité actuelle des prix et des salaires, les nouvelles conditions de travail, rendent circonspects les entrepreneurs. Il n’est, en effet, pas aisé d’établir, en ce moment, un prix de revient pour soumissionner.
Certaines entreprises de grands travaux seraient prêtes à résilier leurs contrats si une augmentation des prix ne leur était pas accordée pour contrebalancer les charges nouvelles imposées, charges dont elles redoutent l’élévation par l’application de la semaine de 40 heures.
Tout cela contribue au ralentissement apporté dans l’exécution de certains travaux en cours et cause du retard dans la mise en adjudication des nouveaux. C’est pourquoi on ne peut prévoir encore, d’une façon précise, la date de l’évacuation de La Ninon par la base d’aviation, celle de l’arrivée définitive du Béarn et de ses avions et du renforcement du nombre des escadrilles qui constitueront la nouvelle et importante base aéronautique de Lanvéoc-Poulmic dont le capitaine de corvette Pescher prendra le commandement le 28 décembre.
P.M.
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Les inspections à Brest du Ministre de la Marine (28 juillet 1938)
Mr. Campinchi, Ministre de la Marine, était à 8 heures à bord du cuirassé de 26.000 tonnes Dunkerque […] Une vedette rapide l’a porté, après cela, de l’autre côté du Goulet, à Lanvéoc-Poulmic, le Brest aérien, autant dire le premier port d’aviation maritime de France.
Cette installation, ample et colossale, entreprise il y a huit ans et qui est, à cette heure, achevée aux trois- quarts, occupe dans une anse de la presqu’île de Crozon.
Le capitaine de frégate Robert, qui y commande en chef, a fait au ministre, exceptionnellement intéressé, les honneurs de ce camp, unique en Europe, par ses dimensions, son potentiel et sa commodité.
Il lui a montré successivement d’immenses hangars d’une superficie de deux hectares *, soutenus par huit colonnes creuses, qui sont aussi des citernes recueillant les eaux de pluie. Ils abritent déjà une cinquantaine d’avions dont les deux Croix-du-Sud, Cavelier de Curville et Guilbaud ** ; la grue monstrueuse, capable de pêcher et de remettre à l’eau les trois géants du type Lieutenant-de-Vaisseau Paris, dont Lanvéoc sera d’ici trois mois le port d’attache ; les bâtiments clairs et confortables qui logeront les 400 hommes de la principale base aérienne de l’Atlantique, leurs sous-officiers et leurs officiers ; l’abri souterrain en fer à cheval creusé en pleine falaise de granit, qui servira, en cas de bombardement, de refuge pour les hommes et de magasin pour les munitions.
80 mètres plus haut se situent l’aire de ciment et les quatre gigantesques hangars réservés aux avions à roulettes. (Voir photo IGNF ci-dessous).
À 11 h 30, M. Campinchi a quitté Brest pour aller déjeuner.
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Ci-dessous, un projet architectural de 1959.
Depuis 1961, tout a changé dans l’environnement de l’École Navale. Les hangars « parapluie » du Poulmic n’existent plus.
N.B. : Un descriptif plus complet des hangars « parapluie » se trouve dans l’article sur la Flottille 4F.
(https://www.passionair1940.fr/Aeronavale-1939-40/Aeronavale/Appareils/Hydravions/Latecoere-302/Latecoere-302.htm)
(https://www.airwar.ru/image/idop/flyboat/late523/ )
L’escadrille E6 composée de 3 Laté 523 a été créée au Poulmic en janvier 1939; le seul rescapé (Altaïr) est parti à Dakar en juin 1940.
- E6.1 Altaïr,
- E6.2 Algol, coulé au large de Brest le 18.09.39,
- E6.3 Aldébaran, sabordé (car en travaux) devant le Poulmic le 18.06.40. L’épave est toujours au fond de l’eau et est visitée régulièrement par les plongeurs.
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* Note de Anciens Aérodromes à propos des hangars « parapluie » :
Sur le site de 2A, vous trouverez, à l’adresse suivante, un descriptif de ce type de hangar particulier que l’on retrouve encore aujourd’hui sur la base 279 de Châteaudun.
De plus, cet article rend hommage à l’architecte créateur de ce concept, F. Aimond, Ingénieur des Ponts et Chaussées au Ministère de l’Air.
https://hangars.anciens-aerodromes.com/?p=101
** Note de Monsieur Feuilloy :
- Le grand hangar de l’hydrobase du Poulmic a été surnommé « Sainte Sophie » en référence à sa ressemblance avec la mosquée d’Istanboul. On retrouve le même à la BAN St-Mandrier.
- Il faut bien orthographier les noms des 3 grands hydravions du type Laté 302 de l’escadrille E4.
L’escadrille E4 est arrivée au Poulmic en mai 38 en provenance de Berre puis en est partie en juin 39 vers Dakar.
- E4.1 Guilbaud
- E4.2 Cavelier de Cuverville
- E4.3 Mouneyrès