Oser ! Il y a 100 ans, Combegrasse…

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Vue des installations du 1er Congrès expérimental d’aviation sans moteur, un village de tentes et trois hangars Bessonneau, une vraie cité opérationnelle durant trois semaines à l’été 1922.

 

Voici exactement un siècle, à l’été 1922, s’est déroulé un événement aussi structurant que fondateur du mouvement vélivole tricolore, le 1er Congrès expérimental d’aviation sans moteur, sur le relief auvergnat du Puy de Combegrasse !

Faire voler des aéronefs sans moteur n’est pas chose nouvelle au lendemain de la Grande Guerre. Au contraire, c’est avec le planeur que l’aviation, (comprendre : le plus lourd que l’air), est née et s’est développée. Même s’il s’est agi, la plupart du temps, d’un pis-aller, dans l’attente d’un moteur suffisamment léger pour pouvoir procurer à la machine une vitesse minimum, c’est un fait : le planeur a précédé l’avion. Le cerf-volant étant connu depuis des temps immémoriaux, en dériver le planeur est d’une logique implacable. Ainsi, nombre de pionniers majeurs ont-ils débuté par des « glissades »: Otto Lilienthal, Octave Chanute, les frères Wright et Voisin, Robert Esnault-Pelterie, le capitaine Ferber, John Montgomery, Percy Pilcher, pour ne citer qu’eux, sans oublier le précurseur Jean-Marie Le Bris…

 

Premier pas vers le vol à voile

Le 25 août 1909, le professeur Oskar Ursinus (futur concepteur des sinistres bombardiers Gotha du premier conflit mondial et directeur de la revue Flugsport) et ses étudiants fondent au sein de l’université de Darmstadt, le groupe de recherche Akaflieg. Hans Gutermuth, le véritable animateur de l’association, après avoir essayé plusieurs sites et réalisé des vols de 70 à 100 m, découvre un lieu propice, un sommet montagneux arrondi, haut de 950 m, au cœur du massif de la Rhön, la Wasserkuppe. Des « stages » s’y déroulent, et un plané de 300 m est réalisé en 1911, puis Gutermuth parcourt 843 m en 1 minute et 52 secondes en 1913.

Parallèlement, Friedrich Harth établit dès 1910 à Bamberg, en Bavière, un atelier pour étudier et construire des « oiseaux-voiliers ». Son assistant se fera un nom : Willy Messerschmitt… Harth utilise l’incidence variable différentielle des deux ailes oscillantes. Durant le conflit, en août 1916, il parvient à se sustenter sans perte de hauteur durant trois minutes. La paix revenue, il réitère brillamment : le 13 septembre 1921, il effectue un vol de 21 minutes au-dessus de la plaine, s’éloignant et revenant au point de départ.

En 1920, un groupe de Dresde se joint à celui de Darmstadt à la Wasserkuppe, participant au premier « Concours de la Rhön » du 15 juillet au 15 septembre. Wolfgang Klemperer s’illustre à bord du Schwarzer Teufel qui parcourt 1 830 m le 4 septembre, mais sa performance passe au second plan car, sans bien comprendre, on a découvert les effets du vol de pente, avec un premier « huit » sans perte de hauteur (Fritz Peschkes, le 14 août avec l’aile volante Wenk Weltensegler à Feldberg, près de Fribourg).

On observe que le lieu commun édictant que c’est le Traité de Versailles (signé le 28 juin 1919 et promulgué le 10 janvier 1920) qui a amené la prééminence de l’Allemagne dans le domaine du vol à voile en raison de l’interdiction du vol moteur n’est pas plausible : avant et pendant le conflit de 1914-1918, on s’intéresse efficacement à cette problématique de l’autre côté du Rhin. Les choses n’ont fait que reprendre leur cours après la douloureuse parenthèse de la Grande Guerre…

 

Combegrasse, Wasserkuppe à la française 

Le deuxième Concours de la Rhön réunit 15 planeurs et 45 pilotes en 1921. Les progrès sont sensibles. Le 14 août, Wilhelm Leusch sur le Weltensegler (voir Vol à Voile n° 28, septembre-octobre 1988) fait la jonction entre ascendance de pente et thermique de front d’orage, non sans y laisser la vie. Le Vampyr de l’Akaflieg de Hanovre, piloté par Arthur Märtens vole un quart d’heure le 5 septembre et parcourt 7,5 km.

« C’est devant les résultats obtenus par les concours allemands de la Rhön que le Comité directeur de l’Association française aérienne comprit la nécessité de provoquer en France des recherches analogues » explique le journaliste Georges Houard (créateur de l’hebdomadaire Les Ailes) dans Le vol à voile et l’Association française aérienne – entité dont il est alors le secrétaire général.

L’AFA est une « société » dans la lignée des grands organismes d’encouragement à l’aéronautique (Ligue nationale aérienne, Association générale aéronautique, qui se métamorphosent en Ligue aéronautique de France). L’action de la LNA en faveur du vol sans moteur est reprise par l’Association française aérienne, née en juin 1910 dans le but « de faciliter et coordonner les recherches expérimentales sur l’aviation économique, ses dérivés et ses applications ». Son initiateur est le biologiste René Quinton qui, dès le 5 juin 1908, a instauré un prix de 10 000 F/or destiné « à récompenser un vol de 5 minutes effectué sans moteur ou moteur arrêté, sans descendre de plus de 50 m ».

Le 12 mai 1921, la mission d’information sur ce qui se trame à la Rhön, composée des pionniers Alfred de Pischof et Louis de Monge, remet ses conclusions. Lesquelles convainquent le Comité directeur de lancer un équivalent du Concours de la Rhön en France. Le congrès parisien de l’AFA des 26 et 27 novembre suivants en définit les modalités. Déjà, la contrée du Puy-de-Dôme tient la corde – sa topographie s’approche de celle de la Rhön – ; la période choisie est le mois d’août 1922. Tous les types de machines volantes sont admis, à condition d’être dépourvus de moteur; une commission technique pourra, sur place, refuser les engins jugés dangereux. Il sera exigé des concurrents une qualification : effectuer un vol minimum de 100 mètres ou de 10 secondes ou encore plusieurs vols d’une distance totale de 400 mètres ou d’une durée totale de 40 secondes. Les droits d’engagement seront de 50 F par machine jusqu’au 1er mai et de 100 francs ensuite jusqu’au 1er juillet.

 

Organisation en campagne

 

* le choix du terrain : Gilbert Sardier, as de guerre et charismatique président de l’Aéro-club d’Auvergne est monté à Paris lors de la réunion de novembre 1921 pour vanter les mérites de sa région. Une délégation de l’AFA se rend à Clermont-Ferrand du 16 au 19 décembre 1921. Le plateau de Gergovie, pressenti initialement, s’efface devant le Puy de Combegrasse, alors couvert de neige. Culminant à 1 120 m, ce cône volcanique offre des possibilités d’envol dans toutes les directions.

 

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L’entrée du camp Mouillard rend un légitime hommage à ce précurseur qui a effectué de pertinentes recherches sur le vol à voile.

 

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Topographie du site du Puy de Combegrasse lors du congrès de l’été 1922.

 

Les modalités de la coopération entre l’AFA et l’AéCA sont entérinées et le maire de la capitale auvergnate attribue une subvention de 10 000 F pour un prix de la ville de Clermont-Ferrand.

* le financement : dès le lancement de l’événement, une souscription rapporte quelque 35 100 francs. Somme notoirement insuffisante pour le rendre attractif : le Concours de la Rhön étant doté de 100 000 marks, un budget de 100 000 francs doit être réuni ! Alors Victor Laurent-Eynac, sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique « qui avait suivi les travaux allemands avec toute l’attention qu’ils méritaient et qui connaissait l’effort déployé par l’Association française aérienne dans la même voie, voulut bien associer à cet effort celui de l’État ». Résultat : 75 000 F de subventions tombent dans l’escarcelle de l’AFA. Finalement, l’objectif sera atteint, grâce au bon vouloir de multiples donateurs, comme René Quinton lui-même, ou André Michelin, diverses officines remettant des plaquettes et médailles en métaux précieux (Aéronautique-club de France, Aéro-club de France, Ligue aéronautique de France, etc.).

 

* logistique et règlement : à l’Aéro-club d’Auvergne revient la tâche de l’organisation matérielle du camp provisoire qui sera installé à Combegrasse, l’AFA se chargeant de l’organisation technique.

Assez vite, l’idée d’un « concours de Combegrasse », par mimétisme avec le Concours de la Rhön, est abandonnée au profit de la notion de Congrès expérimental. Il apparaît en effet difficile de concevoir ce rassemblement comme une rencontre « sportive » (donc placée sous l’égide de la Fédération aéronautique internationale), et « on convint qu’il était préférable de limiter la manifestation de 1922 à une présentation expérimentale des différentes théories appliquées ».

En mai 1922, une brochure tirée à 1 200 exemplaires est diffusée largement à tous les participants potentiels.

Sur les traces de Mouillard

« La région choisie […] paraissait répondre parfaitement aux desideratas des participants. Malheureusement, elle était éloignée de 22 km de Clermont-Ferrand ; on ne pouvait donc songer à loger les congressistes dans cette dernière ville. Les villages à proximité, le hameau de Randanne, la Garandie et Aydat ne possédaient pas d’hôtels ou d’auberge suffisants pour assurer le logement et la nourriture des quelque cent personnes qu’allait réunir le congrès. » Il faut donc édifier une véritable ville provisoire pouvant loger concurrents, organisateurs (tous bénévoles), officiels et leurs proches lors d’un séjour de deux à quatre semaines, avec hébergement, « popote », services, abris pour les planeurs.

 

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Le bureau des météorologistes de l’ONM peut sembler rudimentaire … leur mission est centrée sur l’aérologie locale.

 

C’est l’armée qui va s’en charger. Et plus particulièrement le colonel Izard, patron du Génie local, dépendant du 13e corps d’armée du général Antoine Targe. Ce sera donc le ministère de la Guerre qui va mettre à disposition l’infrastructure.

Les travaux débutent le 7 juillet 1922. Il est décidé que le lieu éphémère sera baptisé du nom du précurseur Louis Mouillard (1834-1897), celui qui, étudiant le vol des rapaces, a eu l’intuition et a lancé les bases théoriques du vol à voile. Sa devise Oser ! et son « totem », le vautour Oricou, figureront en bonne place sur le portique surplombant l’entrée.

 

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Brochette d’officiels au Camp Mouillard, parmi lesquels Paul Painlevé, Victor Laurent-Eynac, le général Targe et Georges Houard.

 

Il faut d’abord tracer une route de près de 800 mètres pour permettre aux camions transportant le matériel de parvenir sur le lieu même du Camp Mouillard, positionné au pied du Puy de Boursoux, près du chemin menant de la route de Randanne au Mont-Dore à celle d’Aydat. Trois grands hangars démontables Bessonneau mis à disposition par la Direction de l’Aéronautique militaire, en provenance de Romorantin, sont installés. S’y adjoint une soixantaine de tentes Marabout (certaines divisées en compartiments, dont une pour les VIP, une autre pour la presse, une infirmerie, et une aménagée en « bains-douches »…), réparties par quartiers, dont une conséquente, rectangulaire, sert d’atelier, équipé d’établis, d’outillage, d’une forge… Un central téléphonique a été implanté, relié par une ligne à Aydat, tandis que le facteur livre et ramasse le courrier sur place.

Le gardiennage est assuré par 25 soldats du 13e corps. Le site est clôturé par des barbelés sur trois côtés. Le camp est alimenté en électricité par un groupe électrogène et est doté d’une importante réserve d’eau. Une liaison aller-retour journalière est assurée avec Clermont-Ferrand, grâce à la maison Michelin…

Naturellement, l’Office national météorologique a délégué un détachement permanent de cinq prévisionnistes, sous la responsabilité du lieutenant Le Petit.

« Le site était particulièrement beau […]. L’emplacement du camp avait été d’un choix vraiment heureux. » Par la suite, au vu des résultats vélivoles, cette remarque sera notablement nuancée !

 

Un champ d’expériences

Le jury technique est composé, sous la présidence de l’ingénieur militaire, le lieutenant-colonel Paul Renard, du commandant Destrem du STAé (Service technique de l’Aéronautique), de Charles Dollfus, de Marcel Riffard (par la suite concepteur des racers de marque Caudron-Renault) et de J. Ribourt, de l’Aéro-club d’Auvergne, avec chacun un suppléant.

Chaque vol doit être préalablement autorisé par le jury qui remet un « bon pour essai ». Chaque soir est remis une « fiche individuelle des essais ».

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Lancement au sandow de l’un des biplans Farman Sport, utilisés par Boussoutrot et Paulhan : un avion léger démuni de son moteur …

 

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Idem pour le monoplan Farman Moustique, une avionette qui connaîtra un certain succès jusque dans les années 1930 avec un bicylindre ABC Scorpion de 30cv.

 

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Le planeur Potez, piloté par Douchy, est lui aussi un ’’monoplace de tourisme’’ Potez VIII délesté de son GMP.

 

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Le planeur de Lucien Coupet, construit par Guerchais, est de belle facture. Il survole le Camp Mouillard.

 

Les durées sont contrôlées au barographe et au chronomètre ; les expériences de plus faible taux de chute sont vérifiées en prenant en compte leur durée, le point d’atterrissage à moins de 200 m du lieu d’envol et la dénivellation entre le point de départ et celui d’arrivée ; les hauteurs sont attestées par des barographes plombés fournis par l’ONM. « Pour les expériences de précision d’atterrissage, le pilote avant de s’envoler désignait au jury le point où il se proposait d’atterrir. Un commissaire mesurait ensuite au double-décamètre la distance qui séparait le lieu d’atterrissage du point désigné. »

 

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Les événements de Combegrasse ont été largement couverts par la presse, le Miroir des sports faisant sa couverture avec l’un des biplans de F. Chardon.

(Crédit photo Gallica-BnF)

 

Le 31 mai 1922, à la clôture des engagements à droit simple, plus de 40 appareils sont enregistrés. Le jour de la clôture définitive, le 15 juillet, le chiffre de 50 inscriptions est atteint. En réalité, 34 planeurs ont effectivement fait le déplacement vers le Puy de Combegrasse, leur transport n’étant pas le moindre problème, en dépit des arrangements obtenus par l’AFA auprès des compagnies de chemin de fer. Les camions militaires ont pris la suite, entre la gare de Clermont-Ferrand et le site.

Les premiers arrivés sont les trois planeurs du Suisse Francis Chardon, le dernier est la machine à ailes en tandem de Louis Peyret, à la veille du début des hostilités.

 

Sur la voie du progrès

Faute de place, cet article n’étant qu’un survol à assez haute altitude, je ne détaillerai pas ici les planeurs qui ont évolué en Auvergne lors du 1er Congrès expérimental d’aviation sans moteur. Un ouvrage complet d’une centaine de pages, et très illustré, est en cours d’édition par la Mission Mémoire de l’Aviation civile de la DGAC ; il paraîtra avant fin 2022.

Mentionnons juste que le catalogue couvre un large spectre : du « bricolage » de l’amateur peu éclairé à l’avion léger démuni de moteur présenté par des avionneurs ayant pignon sur aérodrome (Bellanger, Farman, Potez…) et dont la finition est aboutie, selon les critères de l’époque. En passant par des tentatives de recherche pure, dépassant le classicisme de la période (n’oublions pas les progrès apportés par la fabrication de milliers d’avions entre 1914 et 1918 !). On dénote un vaste panel de formules aérodynamiques, monoplan, biplan, voire triplan, ailes rigides, ailes flexibles, ailes volantes, ainsi que des aviettes, ces avions à propulsion musculaire… Certains aéronefs semblent préhistoriques, comme le Rollé ou le Grandin; d’autres sont d’une finesse remarquable, tel le Dewoitine. Bref, on trouve tout et son contraire ! Avec une participation internationale, puisque deux Suisses, un Italien et un Américain sont de la partie.

 

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L’un des deux Dewoitine, celui-ci étant affecté à Joseph Thoret qui ne brille pas à Combegrasse.

 

* 6 août 1922 : inauguration officielle. Joseph Thoret effectue un vol de reconnaissance – moteur coupé – en Caudron G-3. 15 heures, le général Targe, le Dr Marcombes, maire de Clermont-Ferrand entourés de notabilités locales, lancent les festivités.

* 7 août : essai préliminaire de Francis Chardon dès 7 h 30 : durée 10 secondes. Il effectue plusieurs vols durant cette journée, le plus long durant 30 secondes. Bossoutrot sur Farman atteint 37 secondes. Premières tentatives infructueuses de Grandin sur sa chauve-souris.

* 8 août : encore Francis Chardon qui tient l’air 1 minute et 14 secondes. L’Américain Edmund Allen sur son planeur conçu par l’American Engineering Society vole trois fois, réalisant un temps de 55 secondes à la deuxième tentative, et un gain d’altitude de 9 m.

* 9 août : essais de Chardon, Deshayes et Sardier. Allen réussit 1 minute 20 à 16 h 30 et un palier de 38 secondes. On monte le Landes-Deroin, le Potez, le Derivaux et le Bellanger-Denhaut.

* 10 août : Bossoutrot sur Farman vole 1’ 23’’ à 15 heures. « À 15 h 15, Gilbert Sardier décolle comme un bolide sur le triplan Louis Clément et se qualifie pour les expériences officielles par un vol de 51’’ ». À 16 heures, Chardon fait 1’ 14’’, suivi une heure plus tard de Bossoutrot avec 1’ 27’’. Puis Sardier atteint 1’ 5’’ – les « performances » se succèdent ! Orage en soirée.

* 11 août : au cours de la journée, Allen parvient à rester en l’air 1 minute 47 mais détruit sa monture à l’atterrissage. Meilleur temps de Bossoutrot : 2’ 31’’. Sardier casse une roue à l’atterrissage. Coupet se qualifie avec 1 minute 39.

* 12 août : qualification par Douchy du biplan Potez avec 1’ 37’’. Essais préliminaires du « voilier » Landes-Deroin et des Dewoitine de Barbot et Thoret.

 

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Retournement de situation pour le voilier à ailes souples Landes-Deroin !

 

* 13 août : beau temps mais sans vent. Douchy parvient cependant à faire voler le Potez durant 1’ 5’’. Paulhan se qualifie sur Farman avec 52 secondes.

* 14 août : même météo que la veille. Visite d’officiels à commencer par Victor Laurent-Eynac, sous-secrétaire d’État à l’Aéronautique. Qualification de Camard sur Deshayes avec 14 secondes. Malheureusement, le vol prend fin par un crash occasionnant une forte commotion au pilote. Barbot atteint 55’’ sur son Dewoitine.

* 15 août : accident de Sardier, éjecté de son triplan brisé. Il est transporté dans une clinique de Clermont-Ferrand. Barbot se maintient durant 1’ 45’’ au-dessus de son point de départ. Il plane 2 minutes et 43 secondes.

* 16 août : les vols se succèdent. Remarquable est l’un de ceux de Bossoutrot sur Farman, avec 2’ 51’’, alors record de durée du congrès. Descamps se qualifie sur le Bonnet-Clément à structure métallique.

Les portes s’ouvrent et se referment

* 17 août : qualification d’Adrien Fétu sur le Bellanger-Denhaut avec 30 secondes. De même pour Thoret sur Dewoitine et Pitot sur Levasseur-Abrial. Le De Monge est endommagé.

* 18 août : journée noire… Aucun vol ne dépasse les 2 minutes 10 de Bossoutrot.

Après un départ manqué, Adrien Fétu réitère. « Le biplan tenait l’air depuis cinquante secondes environ quand brusquement on le vit se mettre en vrille et de 20 à 25 mètres de haut, piquer le nez vers le sol. Il tomba comme une masse, verticalement. Des débris de la machine on retira le pauvre Fétu terriblement abîmé. […] Il était mortellement atteint. » Ainsi est-il le premier martyr du vol à voile français…

* 19 août : Bossoutrot vole « en circuit » et tient l’air 5 minutes et 18 secondes, se maintenant 3 minutes 30 au-dessus de la hauteur du point de départ ! Coupet, lui, parvient à une durée de 4’ 50’’. Les pilotes s’aguerrissent et les performances embellissent…

* 20 août : dernière journée, beau temps sans un souffle de vent. Aucune prouesse notable pour clôturer la manifestation.

Comme une cerise sur le gâteau, un décollage du sommet du Puy de Dôme (1 465 m) est « offert » aux pilotes. Douchy, sur Potez, effectue ce jour-là son vol plané en 9 minutes et 2 secondes. Le 24 août, Coupet fait la même chose en 4 minutes 45, Bossoutrot en 7’ et Barbot en 8’ 56’’.

 

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Gilbert Sardier, concentré lors du décollage à bord de l’improbable triplan Clément… qu’il n’a pas tardé à casser, devant atterrir vent dans le dos…

 

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Malgré tous les efforts du pilote-constructeur et du personnel au sol, Grandin n’a pu faire décoller sa chauve-souris !

 

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Le futur grand vélivole français Éric Nessler a participé avec son biplan N-2 plutôt primitif.

 

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Le fuselage du planeur biplan Bonnet-Clément, ici devant l’un des hangars Bessonneau de Combegrasse, est de structure métallique. François Descamps totalisera plus de 19 minutes de vol durant le Congrès.

 

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Edmund Allen, participant américain, n’a pas démérité aux commandes de ce monoplan étudié par l’American Engineering Society.

 

Et pendant ce temps-là…

Le 18 août à la Rhön, l’Allemand Märtens sur le Hannover Vampyr, exploite les ressources du flux dynamique et dépasse pour la première fois une heure en vol sans moteur (1 heure et 6 minutes exactement). Le lendemain, sur le même planeur, Hentzen tient l’air 2 heures 10. Le 24 août 1922, alors que les Français planent du Puy de Dôme moins de 10 minutes, Hentzen, toujours sur le Vampyr, établit le record de durée à 3 heures 10 et celui de hauteur à 300 mètres.

Le 12 juillet 1923, Ferdinand Schulz sur un planeur-poutre, parcourt, en Prusse orientale, la distance de 51,50 km à des hauteurs variant de 40 à 200 mètres…

Pourtant, si les Français ont perdu la première manche, ils vont vite prendre leur revanche : lors de l’équivalent britannique de Combegrasse, sur les collines d’Itford Hill, Alexis Maneyrol, à bord du Peyret à voilures en tandem Alérion, exploite l’ascendance de pente, le 21 octobre 1922 durant 3 heures 21. Le match est bien lancé…

Jean MOLVEAU         

(Sources photos :  collection de l’auteur)

Article paru dans le n°213  Revue Vol à Voile – Juillet/août 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe 1

 

Combegrasse 1922, les inscrits

 

Constructeur    TypePilote
1Moriss Abbins aviette Maurice Abbins
2Louis de MongemonoplanJean Casale
3Louis de MongemonoplanJ.-R. Roques
4Éric Nesslerbiplan (N-2)Éric Nessler
5Émile DewoitinemonoplanGeorges Barbot
6G. Beuchetmonoplan ailes souplesG. Beuchet
7E. DerivauxmultiplanÉmile Derivaux
8Coupet-GuerchaismonoplanLucien Coupet
9J. GilbertmonoplanJ. Gilbert
10Georges GrouxmonoplanGeorges Groux
11J. PimouleornithoptèreJ. Pimoule
12Max MassymonoplanMax Massy
13Jules DeshayesmonoplanAlfred Camard
14Francis ChardonbiplanF. Chardon/Alfred Cuendet
15Francis ChardonbiplanJean Hemmerdinger
16Francis ChardonbiplanF. Chardon/Alfred Cuendet
17Gustave ThoroussavietteGustave Thorouss
18Daniel MontagnemonoplanDaniel Montagne
19Henry Farmanmonoplan MoustiqueLucien Bossoutrot
20Henry Grandinchauve-sourisHenry Grandin
21Jules RollémonoplanJules Rollé
22Maurice RoussetmonoplanMaurice Rousset
23Henry PotezbiplanG. Douchy
24Georges SabliermonoplanGeorges Sablier
25Pierre-DetablemonoplanDetable
26Louis Peyretmonoplan tandemAlexis Maneyrol
27Aimé ValettemonoplanAimé Valette
28Ettore BernasconiavietteEttore Bernasconi
29Maurice GriffrathmonoplanMaurice Griffrath
30Lucien Lefortaviette triplanLucien Lefort
31Pierre VialmonoplanPierre Vial
32Jean TrofintriplanJean Trofin
33BreguetmonoplanLouis Breguet
34G.-L. JulienavietteG. Julien
35Marceau Aubietaviette biplanMarceau Aubiet
36Jules CauxbiplanJules Caux
37Bellanger-DenhautbiplanAdrien Fétu
38Landes-Deroinmonoplan soupleRobert Landes
39Aeronautical Engineering SocietymonoplanEdmund Allen
40Louis ClémenttriplanGilbert Sardier
41Émile DewoitinemonoplanJoseph Thoret
42Pierre Levasseur-Georges AbrialmonoplanHenri Pitot
43Dits-MoineaumonoplanRené Moineau
44Henry Farmanbiplan SportLouis Paulhan
45Pierre Bonnet-Louis ClémentbiplanFrançois Descamps
46Jean GafnerbiplanJean Gafner
47Henry Farmanbiplan SportLucien Bossoutrot
48Verrimst-ManeyrolmonoplanAlexis Maneyrol
49Charles VercruysseavietteCharles Vercruysse
50Tourel-BoissonbiplanBoisson

 

 

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Deshayes P-1

 

Annexe 2

Des résultats « en demi-teinte »

* Durée :

  1. Lucien Bossoutrot sur Farman Moustique (n° 19) : 5 minutes 18 secondes.
  2. Lucien Coupet sur son planeur personnel (n° 8) : 4 minutes 50 secondes.

 

* Totalisation des durées :

  1. Lucien Bossoutrot et Louis Paulhan, sur Farman Sport (n° 47) : 49 minutes 55.
  2. Lucien Bossoutrot sur Farman Moustique (n° 19) : 48 minutes 25.
  3. Francis Chardon sur son planeur n° 16 : 34 minutes 15.
  4. Lucien Coupet sur son planeur n° 8 : 31 minutes 20.
  5. François Descamps sur Bonnet-Clément (n° 45) 19 minutes 23.
  6. G. Douchy sur Potez (n° 23) : 14 minutes 12.
  7. Edmund Allen sur le n° 39 de l’AES : 12 minutes 27.
  8. Georges Barbot, sur Dewoitine n° 5 : 7 minutes 41.
  9. Gilbert Sardier sur le triplan Clément (n° 40) : 4 minutes 21.
  10. Henri Pitot sur Levasseur-Abrial (n° 42) : 2 minutes 55.

 

Annexe 3

* Distance (en ligne droite) :

  1. Douchy sur Potez (n° 23) : 5,85 km.
  2. Bossoutrot sur Farman (n° 19) : 5,28 km.

 

Annexe 4

* Plus faible taux de chute :

  1. Bossoutrot, Farman n° 19 : 0,47 m/s.
  2. Coupet, Coupet n° 8 : 0,62 m/s.
  3. Descamps, Bonnet-Clément n° 45 : 0,69 m/s.
  4. Paulhan, Farman n° 47 : 0,91 m/s.

 

Annexe 5

* Précision d’atterrissage :

  1. Bossoutrot, Farman n° 19 : 0 m.
  2. Paulhan, Farman n° 47 : 3 mètres.
  3. Descamps, Bonnet-Clément n° 45 : 4 mètres.

 

Annexe 6

Adrien Fétu, première victime du vol à voile français

Né en 1894 à Eurville (Haute-Marne), ce fils de maréchal-ferrant commence à voler en région parisienne dès l’âge de 17 ans. Son brevet de « pilote-aviateur » n° 1 562 lui est attribué le 19 décembre 1913. À la mobilisation du 2 août 1914, il est affecté au 2e groupe d’aviation en qualité d’élève-pilote afin d’obtenir son brevet militaire. Il passe par Bron, Saint-Cyr et Avord, et, une fois son viatique en poche, quitte la RGA (Réserve générale de l’Aéronautique) pour être affecté à la MS-49, créée le 18 avril 1915 et basée dans la région de Belfort. Elle troque ses Morane-Saulnier L Parasol contre des Nieuport. Muté dans une autre unité, Adrien Fétu est envoyé sur le front de Salonique où, le 17 février 1916, lors d’un combat aérien il force un Albatros biplace à se poser, l’équipage et l’avion étant capturés. Cela lui vaut une citation à l’ordre de l’armée et l’attribution de la Médaille militaire.

Rapatrié en France, après un passage au GDE (Groupe des divisions d’entraînement) du Plessis-Belleville, il rejoint le 28 décembre 1916 l’escadrille N-26 dépendant du célèbre Groupe des Cigognes, formation au sein de laquelle il remporte trois autres victoires qui ne sont toutefois pas homologuées.

De retour à la vie civile, Adrien Fétu s’établit comme garagiste à Versailles, non sans continuer à voler. Ainsi se retrouve-t-il engagé à Combegrasse, sur le Bellanger-Denhaut n° 37.

François Denhaut (1877-1952) est l’inventeur de la formule de l’hydravion à coque (qui fait office de fuselage) pour Donnet-Lévêque en 1912. L’ingénieur est entré chez Bellanger en 1921, avionneur pour lequel il réalise l’hydravion bombardier BD-22. Le planeur qui percute en Auvergne emploie la même voilure.

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François Denhaut, à gauche, en compagnie d’Adrien Fétu.

 

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Biplan  Bellanger-Denhaut.