Louis Baillon, un aviateur bailleulois décédé le 24 décembre 1944

"/

Louis Baillon

(Coll. Joëlle Sénéchal)

Cet article reprend le destin d’un jeune Bailleulois engagé volontaire à 18 ans dans l’Armée de l’Air française, affecté en 1944 à la R.A.F. (Royal Air Force) et décédé au-dessus de Düsseldorf le 24 décembre 1944.

La famille Baillon à Bailleul

Les parents de Louis sont Georges Baillon et Rachel Isaert, jeune Bailleuloise dont la famille réside rue de Lille à Bailleul. Ils se marient à Bailleul le 26 octobre 1916. Du côté Baillon, le grand-père est décédé en 1915; la grand-mère Louise Mortelecque, native de Bailleul, y tenait commerce au 35 rue d’Occident. Du côté Isaert, le grand-père Pierre-Henri était directeur de brasserie, la grand-mère sans profession. En 1918, suite à l’offensive allemande de la bataille de la Lys, Georges et Rachel quittent la ville de Bailleul pour se réfugier à Beaugency dans le Loiret. Louis naît à Beaugency le 21 juin 1918.

"/

                                                  Louis jeune                           Georges et Rachel Baillon

(Coll. Raymonde Ente)

 

Le café « À l’Épi de Blé »

 

"/

À l’Épi de Blé vers 1900 et lors de l’attaque allemande d’avril 1918.

(Coll. A. Petitprez)

Ce café existait avant la Grande Guerre. Détruit lors de la prise de la ville, il est reconstruit rapidement. C’est d’abord un joli baraquement à l’endroit même des fondations du premier café.

"/

Le baraquement (Coll. Ryckewaert)

Ci-dessus, sur cette photo-carte juste après la guerre, on remarque Henri Jacques le tenancier avec sa veste blanche. Il est assis à la table de droite avec un client. Son épouse Maria Sockeel debout à droite de l’entrée du café sur la photo, auprès d’elle Léon Gaymay né en 1915. Les trois jeunes filles à gauche sont serveuses au café, un client est assis à la table.

Entre les deux guerres

"/

Départ de ballon dans les années 30 (Coll. CHAB)

Entre les deux guerres, Georges Baillon et son épouse deviennent tenanciers du café « L’Épi de Blé ». Ce dernier est le rendez-vous des Amis de l’aviation. Dans les années 1930, les Bailleulois étaient férus du « moins lourd que l’air » et donc de montgolfières. Un article de presse de la Voix du Nord d’août 1935 nous donne des informations précieuses à propos des fêtes aérostatiques à Bailleul dans les années 30. Les départs de ballons se succédaient chaque dimanche. Les ballons étaient gonflés dès le matin avec le gaz de ville en provenance de « l’usine à gaz » de la route de Méteren. Le gaz sortait d’une bouche souterraine sur la Grand-Place. Si le matériel était celui de l’association aérostatique, les aérostiers étaient Bailleulois. Les départs des ballons avaient lieu après la grand’messe, en présence d’un public record, et l’on peut dire que les aérostiers partaient vraiment à l’aventure.

"/

L’Épi de Blé entre les deux guerres (Coll. A. Petitprez)

 

Une anecdote très particulière 

En 1938, André Suffys prend le départ dans un ballon mais les vents le déportent vers l’Allemagne où il atterrit, bien entendu, sans être attendu. Outre-Rhin, on se prépare alors à une nouvelle guerre; André Suffys est, comme on peut le penser, suspecté d’espionnage et jeté en prison. Il y passe toute une semaine et ne doit qu’à des papiers en règle de pouvoir rejoindre des lieux plus accueillants !

"/

Le départ d’un ballon Grand-Place, le 15 août 1935 (Coll. Félix Salomé)

Mis à part les élégantes sur la gauche non identifiées, le porteur du chapeau melon est le directeur de l’usine à gaz, M. Monneau. Puis, sur la droite, le jeune homme est René Baillon, le frère de Louis dit « Loulou » pour les intimes. Louis Baillon est alors âgé de 18 ans. Sur la photo, il se trouve dans la nacelle du sphérique. Cette pratique du ballon dans les années 1930 influença sûrement son choix de partir en Angleterre pour s’engager dans la R.A.F. à la déclaration de guerre. Devant la nacelle, se tient André Didier, président de l’association aérostatique. On trouve ensuite Denis Vitse, qui sera directeur de l’hôpital civil, puis Raphaël Thibaut, Georges Baillon, le père de Louis et de René, André Suffys dont l’anecdote vient d’être racontée et, à l’extrême droite, Noël Houte.

 

Naissance d’une passion

"/

Louis Baillon

(Photo La Bailleuloise du 24 Juin 1934).

Louis Baillon et son frère René vivent chez leurs parents au café « L’Épi de Blé » tenu, comme l’indique la Bailleuloise de 1934, par l’animateur de l’aviation pour la riante cité de Bailleul où ils passent leur jeunesse. En 1934, Louis, le fils aîné, a la joie d’effectuer son baptême de l’air en compagnie du pilote Georges Loncke, un passionné d’aviation, une référence à l’époque, engagé dans la France Libre en août 1940. De plus, en fonction de ses bulletins scolaires, les récompenses consistent en promenades aériennes. Il fait ses premières heures de double commande à l’aérodrome de Berck Plage avec d’illustres pilotes français comme Marchesseau, Loncke et Longin. À 15 ans et demi, il est titulaire de 36 heures de vol et déjà, Louis souhaite devenir pilote et faire carrière dans l’aviation. Fernand Pruvost, ancien propriétaire du café, se souvient d’avoir vu, quand il était jeune, une maquette d’avion accrochée au plafond du café.

Son parcours militaire

En 1938, Louis a 20 ans. Il passe le conseil de révision et est classé le 23 février Service armé, apte à devenir combattant. Le 22 avril, il s’engage comme volontaire, pour trois ans, au bataillon de l’Air n°109 à Tours en Indre- et-Loire ayant été élève de l’aviation populaire (créée sous le régime du Front Populaire pour répondre au besoin de formation des futurs pilotes d’avion). Il arrive au corps le 25 avril. Il obtient son brevet de pilote d’avion militaire en juillet. Il est nommé caporal en septembre. Affecté à l’école d’Istres, dans les Bouches-du-Rhône le 25 novembre 1938, où il suit une nouvelle formation, il est nommé sergent en décembre. Il est ensuite muté, à compter du 7 août 1939, à la 25e Escadrille Aérienne du Bataillon de l’Air n° 205 à Sidi Ahmed en Tunisie; il y est affecté au groupe aérien I/25. Il entre dans la composition des Groupements de Bombardement n°11 I/25 le 15 avril 1940. Il fait donc partie, dès ce moment, du groupe Tunisie. Le 17 février 1941, il reprend un engagement pour un an, puis signe, pour trois ans de plus, le 18 avril 1942.

Histoire du Groupe Tunisie

En 1939, le groupe I/25 est entièrement équipé de Bloch 200, appareil vétuste, lourd, robuste mais trop lent et qualifié de « cercueil vivant ». Ce Groupe ne peut alors prétendre aux batailles aériennes; il assume cependant une lourde tâche : la protection des convois, la surveillance en mer, la recherche et l’attaque de sous-marins ennemis. Travail ingrat, missions sans éclat et toujours dangereuses, si loin des côtes avec un matériel terrestre surclassé et usé. Louis Baillon effectue de multiples missions en Tunisie en temps de paix puis de guerre (bombardements sur Gibraltar, sur la Syrie lors de l’été 1941). Quelques temps après le débarquement allié en AFN, le I/25, équipé de LeO 45 passe sous sous commandement américain et ne sera engagé dans les opérations qu’en janvier 1943.

Départ pour l’Angleterre

Le Groupe I/25 et le Groupe II/23, autre groupe de bombardement, sont envoyés, au mois de septembre 1943, en Angleterre où les équipages reçoivent des avions Halifax, bombardier lourd quadrimoteur britannique. Ils sont incorporés au « Bomber Command » sous les dénominations de « Squadron 346 » pour le II/23 et « Squadron 347 » pour le I/25. Les noms de baptême datent de fin 1943 confirmée par la note de service du 3 novembre 1943 de l’EMAA/3 signée de Bouscat et qui donne un « nom symbolique » aux groupes de la nouvelle Armée de l’Air officiellement. Le n°346 Squadron avec nom de baptême « Guyenne » date du 30 mai 1944 et le n°347 Squadron « Tunisie » du 20 juin 1944. Ils participent ainsi à l’effort britannique contre les objectifs stratégiques de l’Allemagne et des territoires occupés. L’avion Halifax est équipé de moteurs Rolls-Royce Merlin qui lui permettent d’effectuer des missions dans un rayon de 2500 km à partir de sa base. Il peut transporter 6500 kg de bombes. En février 1944, un nouveau modèle voit le jour, le MKIII équipé du moteur Bristol Hercules. Il peut désormais atteindre 7300 m d’altitude.

La base aérienne d’Elvington

La base aérienne d’Elvington est située dans le Yorkshire en Angleterre. Le terrain a d’abord une piste en herbe qui est rapidement remplacée par une piste en dur. Ouvert au mois d’octobre 1942, il accueille d’abord le Squadron 77, lequel a effectué de nombreux bombardements sur la Ruhr et beaucoup d’opérations destinées à détruire l’industrie allemande. Il est remplacé en mai 1944 par les deux squadrons français, le 346 « Guyenne »  et le 347 « Tunisie » qui sont les seules unités françaises de bombardiers lourds basées à Elvington durant la Seconde Guerre mondiale.

"/

Salle de détente pour les pilotes français sur la base d’Elvington.

(Coll. Laurent Bailleul)

"/

Mémorial en l’honneur des squadron français en 1968 et aujourd’hui.

(Coll. http://halifax346et347.canalblog.com)

 

Un départ en mission sans retour

Le 24 décembre 1944, après 23 missions de bombardement, une dernière mission – un bombardement sur l’aéroport de Mülheim-Essen en Allemagne – est un aller sans retour pour cinq des membres de l’équipage. Le récit de ce dernier voyage pour l’équipage du lieutenant Leroy nous a été donné par les deux survivants François Duran et André Guédez et par un ancien pilote du groupe Guyenne, le général Pierre Boé.

Ce témoignage, intitulé De lourds souvenirs, Heavy Memories 24-12-1944 sur le site de Youtube,  https://www.youtube.com/watch?v=yrIFAF8T-_o, a été retranscrit par nos soins (voir ci-dessous)

"/

Photographie des membres de l’équipage du lieutenant Jacques Leroy.

De haut en bas et de gauche à droite : André Guédez sergent-chef, mitrailleur supérieur, François Duran sergent-chef, mécanicien, Yves Even sergent, mitrailleur de queue, Louis Baillon, sergent-chef, le pilote, Jacques Leroy Lieutenant, commandant de l’avion, Pierre Gautheret sous-lieutenant, bombardier, Henri Granier, adjudant, radio.

Nous avons repris, dans le document complet que vous pouvez retrouver sur le site de Youtube, les passages les plus marquants de cette malheureuse mission.

 

DE LOURDS SOUVENIRS – Heavy Memories 24-12-1944

André Guédez          François Duran        le général Pierre Boé

André Guédez : « Je salue mes camarades tous les jours … Oui je les vois comme si c’était hier alors que ça fait 60 ans où mon avion au-dessus de Düsseldorf a été atteint par la Flak, a mis le feu à un moteur, touché une deuxième fois, il a fallu abandonner l’appareil. Le pilote, le commandant de bord et le navigateur sont restés à bord jusqu’au dernier moment. Les cinq autres membres de l’équipage, nous avons sauté en parachute et en fait nous nous sommes trouvés seulement deux rescapés, les trois autres ayant été probablement fusillés en l’air à mesure qu’ils descendaient et au bout de leur parachute. »

François Duran : « C’était le soir de Noël, nous ne nous attendions pas à y aller, et donc nous avons dû y aller, et les autres sont rentrés et nous on est restés prisonniers.

André Guédez : … Il y avait vraiment une osmose entre les membres de l’équipage il faut dire que nous avions pratiquement tous le même âge, nous avions moins de 24 ans. Le plus âgé d’entre nous c’était le mécanicien, le sergent-chef Duran, qui avait trois ou quatre ans de plus que nous mais c’était un monsieur très calme un garçon très gentil et très pondéré. On l’appelait « la mama » parce qu’il nous donnait des conseils comme il était le plus âgé. Nous nous sommes retrouvés sur la base d’Elvington fin juin 1944 alors que le groupe Guyenne était arrivé un mois plus tôt, ce qui a permis au groupe Guyenne de faire les premiers bombardements lors du débarquement dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Notre avion, c’était un Halifax quadrimoteur, qui pouvait emporter 5 tonnes de bombes sur des missions de six ou sept heures. Quand on faisait des missions importantes sur l’Allemagne le nombre d’avions se situait entre 800 et 1100 souvent c’était aux environs de 1000 ; quant au briefing on entendait dire qu’il y avait moins de 1000 avions on n’était pas très contents ça nous donnait une chance supplémentaire d’être abattus sur mille. On s’en tirait toujours mais il y avait environ 4 ou 5% d’avions descendus à chaque mission … Il y avait une chance sur deux d’être abattu c’est ce qui s’est réalisé effectivement puisqu’il y a entre 50 et 51 % des équipages initialement engagés qui ont été abattus entre juin 44 et mai 45. Il se trouve que notre avion avait la lettre L qui voulait dire Love en anglais et cet avion a eu la malchance d’être descendu cinq fois. On aimait vraiment notre avion on trouvait qu’il était d’une sécurité formidable on se sentait bien en l’air dans cet avion et effectivement on était un peu amoureux de l’avion comme on l’est d’une voiture quand elle nous plaît beaucoup… .

Général Boé : Cette mission, je l’ai faite également avec eux le 24 décembre, ce n’était pas un jour très recommandé pour faire des missions le 24 décembre, mais c’était à l’époque où la météo promettait de s’améliorer, et nous permettait d’intervenir directement dans les opérations, parce qu’avant cette époque-là le brouillard avait régné sur toute l’Europe du nord. C’est pour ça qu’Hitler avait décidé de profiter de ce temps-là pour faire l’offensive maximum sur les Ardennes. Et à ce moment-là, la météo s’améliorant on a essayé d’intervenir avec nos avions et c’était le terrain d’Essen qu’on allait bombarder. Il était utilisé par les Allemands pour supporter l’offensive de Von Rundstedt dans les Ardennes pour les Français, je crois qu’on était quand même une vingtaine d’avions à faire cette mission…

André Guédez : Aussi le premier jour où nous avons pu décoller nous sommes partis. C’est ce fameux 24 décembre dans l’après-midi où hélas mes camarades ne sont pas revenus, et moi je suis revenu quatre mois et demi après, ayant été prisonnier pendant ce temps-là. Alors ça a dû se passer vers 9 heures du matin on est allé chacun dans notre briefing. Chacun dans notre spécialité on avait un briefing. On ne savait pas où avait lieu la mission encore et ensuite il y avait un briefing général qui réunissait tous les équipages et là il y avait un officier de renseignement qui nous disait la mission que nous allions accomplir et la mission était tracée sur une carte qui allait de l’Angleterre jusqu’à l’Allemagne avec le trajet effectué en rouge et le trajet en bleu retour. Il faisait un temps formidable ce jour-là alors qu’on avait eu un brouillard terrible. … je ne sais pas pourquoi j’ai eu un serrement de cœur, effectivement on préférait qu’il y ait des nuages et bombarder sans visibilité puisque on avait des appareils qui le permettaient et puis une fois en l’air on n’y pense plus. … Quand on approche de la région qu’on va bombarder, c’était la Ruhr. La Ruhr c’était la région industrielle par excellence de l’Allemagne et c’est là où nous faisions presque tous nos bombardements mais quand on arrivait à l’approche de la Ruhr on avait l’impression de voir devant soi un quadrilatère où les éclats d’obus se touchaient les uns les autres. On aurait pensé qu’il était impossible de passer à travers ça et puis si, la plupart du temps on est passés, la preuve, sauf pour ce jour-là mon équipage et moi avons eu la malchance d’être touchés une première fois ; un obus a mis le feu au moteur intérieur gauche, nous étions à ce moment-là à peu près à deux minutes de l’objectif et le commandant d’avion a demandé si personne ne voyait d’inconvénient à ce qu’on continue la mission, comme on était tout près. Tout le monde a été d’accord pour continuer la mission et une fois les bombes larguées, on a été touchés une deuxième fois. L’avion est parti en abattée légère à droite alors que le Stream partait sur la gauche c’est à dire qu’on s’est retrouvés seuls au-dessus des batteries aériennes qui ont continué à tirer pratiquement sur nous et à un moment donné le pilote n’avait plus le contrôle de son avion et le commandant d’avion a dit : « eh bien il faut y aller », ça voulait dire : il faut sauter.

François Duran : J’étais à côté du pilote, alors avec le pilote on s’entendait tous les deux, alors lui il dirigeait l’avion et il a essayé de passer à travers les mailles parce qu’on était déjà touchés avant ça. On avait déjà un moteur en moins, on a mis le moteur en croix pour pouvoir dégager aussitôt, on n’avait que trois moteurs et certains en avaient quatre alors ça filait déjà. Nous, nous étions déjà éliminés du groupe, eh oui c’était la guerre. Les autres étaient abattus, on ne savait pas comment, mais nous étions dans un groupe, on avait été touchés les premiers et on avait été éliminés aussitôt et c’est là qu’on s’est trouvés séparés machinalement.

André Guédez : Alors chacun est parti à part le pilote et le commandant d’avion qui restaient en place jusqu’à ce que les autres partent chacun essayant de trouver son parachute. Le parachute avait un endroit bien déterminé, on devait le mettre mais moi j’avais la malchance d’être superstitieux et en montant dans l’avion au lieu de mettre mon parachute à l’endroit déterminé je le jetais. Au moment de le prendre, on avait simplement le harnais, je ne le trouvais plus alors là je commençais à avoir très peur et j’avais très froid et puis le manque d’oxygène, je respirais difficilement nous étions à 6000 mètres et on venait de relever la température extérieure, c’était le 24 décembre 1944, il faisait moins 50 degrés. Alors nous avions les combinaisons chauffantes de l’oxygène et masque à oxygène, et quand on quittait le masque à oxygène et qu’on enlevait le chauffage, la combinaison, on se retrouvait dans des conditions vraiment terribles j’ai fini par trouver le parachute quand même et je l’ai accroché difficilement à mon harnais. Une première fois juste un côté puis j’ai réussi à mettre le deuxième et c’est là que je me suis approché de la porte il y avait eu une flamme qui venait jusqu’à notre hauteur, une flamme du moteur intérieur gauche, et à partir de ce moment-là j’ai perdu toute notion ! à tel point qu’en ce qui me concerne, je me suis évanoui alors que je m’approchais de la porte de sortie que j’avais les pieds déjà dehors avant de pouvoir sauter. C’est mon mécanicien qui était derrière moi, je l’ai appris de nombreuses années après, qui m’a poussé. Il m’a poussé et je me suis retrouvé dans le vide mais il a fallu que j’ouvre moi-même mon parachute. Ce qu’il y a de paradoxal c’est que de ce saut de 6000 mètres qui dure environ 25 minutes, je n’ai pas réalisé, je suis incapable de dire ce que c’est qu’un saut en parachute.

François Duran : Je me rappelle bien que je poussais Guédez dehors, il a fallu que je le pousse pour qu’il sorte. Alors j’ai sauté après lui, je ne me rappelle pas autre chose.

André Guédez : En tout cas je me suis réveillé une heure et demie après le bombardement, c’était à 2h30, et je me suis réveillé à quatre heures pile. J’étais installé sur un lit de camp dans un bureau où j’entendais taper à la machine. Il y avait des personnes, je crois des jeunes femmes, qui tapaient à la machine. Ma première vue c’était de voir des gamins qui avaient le nez collé à une vitre, qui devaient regarder sans doute le prisonnier qui venait d’être fait. Bien sûr on m’avait enlevé ma combinaison chauffante … J’ai entendu parler allemand, bien que ne parlant pas allemand je connaissais l’accent allemand, et j’ai réalisé ce qui m’était arrivé et puis je me suis dressé sur mon lit et on m’a fait me lever et on a plié dans mon parachute certaines de mes affaires, me les ont mis sur le dos. J’ai été escorté par un ou deux vieux soldats allemands qui m’ont amené dans une prison, une prison civile où je me suis retrouvé en présence d’Anglais qui avaient été abattus le même jour que moi mais qui appartenaient à une autre base et eux étaient en pleine forme … Je n’étais pas heureux du tout, parce que c’était le 24 décembre (un dimanche ndlr) où j’avais rendez-vous avec ma petite copine… Je ne savais pas si d’autres membres de mon équipage étaient vivants. Ce n’est que le lendemain, le lendemain soir, ou j’ai retrouvé mon mécanicien dans une prison militaire où on nous avait amenés.

François Duran : On s’est retrouvés en prison cette nuit, alors on est tombés dans les bras l’un de l’autre on était juste tous les deux, les autres où étaient-ils ? et au fur et à mesure les Allemands nous amenaient un puis deux, trois, quatre, de ceux des différents appareils qui avaient été abattus.

Général Boé : Le commandant d’avion (c’était le lieutenant Leroy un type épatant qui voulait absolument faire sa mission) a été attaqué par la DCA allemande en arrivant sur la Ruhr. Ça a mis un de ses moteurs en panne, enfin l’avion continuait à voler, il a dit on va continuer sur trois moteurs ! c’était possible effectivement, mais c’était possible s’il n’y avait pas eu la DCA allemande de la Ruhr qui était la DCA allemande la plus forte du monde entier, une concentration extraordinaire. L’avion en question n’ayant que trois moteurs avait pris du retard sur les autres et donc était arrivé dans les derniers sur l’objectif. Il a été bon mais les canons étaient déjà pointés, les projecteurs savaient où il se trouvait et tout, il n’a pas pu éviter d’être attaqué mortellement et de prendre feu. Grâce à l’héroïsme du pilote, c’était son rôle, c’était prévu, le pilote devait sortir le dernier bien entendu, les autres ont pu sauter en parachute… Dès le début, les Anglais nous avaient mis au courant quand on est arrivés en Angleterre : vous allez commencer votre entraînement, ça va être très dur et on vous prévient il faut prévoir des pertes 1 sur 2, ceci est prévu tous nos plans tout notre entraînement tout ce que nous pouvons préparer à l’avance comme avion, comme matériel est prévu sur un pourcentage de perte de 50% en ce qui concerne les bombardiers stratégiques bien sûr. Alors voilà je n’ai pas connu un seul camarade qui n’ait pas continué bien entendu. Tout le monde a continué mais on savait ce qui nous attendait, ça ne nous a pas empêchés de faire le travail, au contraire.

André Guédez : on savait qu’on avait une chance sur 2 de s’en tirer et c’est pour ça qu’on essayait de profiter de nos congés, de nos jours de liberté pour aller danser, pour aller s’amuser. Les aviateurs on était privilégiés à ce point de vue-là, quand même on était sur une base où on avait des conditions de vie confortables. On mangeait bien, même si on était six dans une cabane, on avait de bons lits, on était chauffés, on avait des douches, vraiment c’était le confort par rapport aux soldats qui se battaient sur terre ; alors on appréciait ça énormément. On était conscients de cette chance qu’on avait même si on savait qu’il y avait une chance sur deux de pas revenir ! on était contents, puisqu’on était volontaires pour aller là-bas, on était contents d’avoir fait notre boulot mais on faisait notre travail, c’est tout et puis on savait qu’on était là pour défendre un idéal de liberté surtout depuis qu’on nous avait appris ce que les Allemands faisaient chez eux. Nous n’étions pas tellement au courant des camps d’extermination des Juifs et des prisonniers politiques, mais on commençait à se douter qu’il y avait quelque chose d’affreux chez les Allemands et les SS en particulier alors on voulait à tout prix que ce régime disparaisse et c’est ce qui faisait notre force…

——-

Louis Baillon est enterré au cimetière militaire de Düsseldorf dans la Ruhr, comportant en juillet 1945, 1417 morts militaires. Il se trouve dans le carré III C, tombe 1332, les quatre tombes suivantes comportent les autres membres de l’équipage du « Halifax » du groupe « Tunisie » abattus à Western, le 24 décembre 1944 et inhumés le 27 décembre à Düsseldorf. (Service des anciens combattants de guerre).

 

"/

Mortuaire

"/

Citation

"/

Article extrait de la revue du CHAB – Cahier 14

La ville de Bailleul pour perpétuer le souvenir de ce jeune aviateur a donné le nom de celui-ci à une des rues de Bailleul au Moulin du Prince. Le Cercle lui a rendu hommage lors de la publication du hors-série sur Les Rues de Bailleul, 2017.

Gérard Lemaire (Cercle d’Histoire et Archéologie Bailleulois) et Laurent Bailleul

 

Sources :

ADN de Lille : Cote 1R 4279-1938-Dunkerque.

Crédits photos : Laurent Bailleul. Président Anciens Aérodromes, Alain Petitprez, Joëlle Sénéchal,

Bailleuloise du 24 juin 1934, Coll. J. Sénéchal.

https://www.youtube.com/watch?v=yrIFAF8T-_o