Angers, 1910 : une grande année aéronautique.

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1910 fut une année qui marqua effectivement le début du rayonnement de l’aviation angevine : inauguration de l’aérodrome d’Avrillé, vols de René Gasnier à l’école Wright de Pau, meeting de juin… Une grande année qui fut suivie de bien d’autres.

Lors de la réunion du 8 mars 1910, la Commission d’Aviation de l’Aéro-club de France se réunit sous la présidence de M. Rodolphe Soreau. À cette occasion, René Gasnier, membre sortant de cette Commission, est réélu. Au cours de cette même commission, MM. Zens et Tissandier font un rapport verbal favorable sur le futur aérodrome d’Angers. Ce rapport est accepté par la Commission sous réserve qu’un rapport écrit soit fourni par les auteurs ; de même, l’inscription de la date du meeting d’Angers sera demandée à la Commission aérienne mixte dès que les organisateurs auront fourni les pièces nécessaires. Enfin, au cours de cette commission, le Brevet n° 39 est délivré à René Gasnier qui fut l’élève de Paul Tissandier sur Wright. Ces premiers auspices ouvraient une année qui fut, on le verra, très favorable à l’aviation angevine et à son renom. Tout d’abord, l’aéro-club d’Angers acquiert le sphérique Ouest 2 de 1 200 m3 sur lequel René Gasnier effectue un vol de 20 minutes le 24 mars. Toutefois, les activités de René Gasnier ne se limitaient pas qu’à l’Anjou puisque le journal L’Aérophile de 1910 – page 301- nous indiquait que, le 7 avril, René Gasnier volait à nouveau à Pau sur Wright et remettait cela le 8 en effectuant deux vols. Le 11, il réalisait un vol de 600 mètres. On le retrouvera en vol les 20 et 28 avril ainsi que le 6 mai, puis le 14 mai où il accomplit deux jolis vols d’un quart d’heure. Le 17, il exécute une descente en vol plané. Le 31 du même mois, il effectue un vol de 10 minutes sur son biplan Wright, expérimentant un plan sustentateur placé au milieu du gouvernail arrière.

Cependant, l’âme de Gasnier était angevine et attachée à la plaine d’Avrillé qui fut inaugurée le 3 juin, veille du premier grand meeting qui allait défrayer la chronique du 4 au 6 juin suivants. Il nous faut toutefois revenir sur les origines de cette manifestation et reprendre les termes du journaliste Victor Dauphin, qui en vécut les phases les plus actives. Il nous rappelle les circonstances qui en accompagnèrent la réalisation : « Le succès qu’avait obtenu en 1906 le Circuit automobile de la Sarthe tant au point de vue sportif qu’au point de vue de l’afflux des touristes n’avait pas été sans attirer l’attention des Angevins et le Dr Motais, qui présidait alors au Syndicat d’Initiative de l’Anjou lança l’idée pour l’obtenir de l’Automobile-Club de France pour notre département. Au milieu de 1908, le Syndicat ne pouvant à lui seul prendre la charge d’une pareille entreprise, un groupe de personnalités angevines forma un Comité qui entreprit les démarches nécessaires. Tout était au point : subventions, tracé du parcours, dispositions d’organisation et même quelques marchés avaient été passés lorsque l’Automobile-Club de France décida subitement, au mois de janvier 1909, de ne pas faire disputer l’épreuve promise, les constructeurs se refusant à y participer. Ce fut une grosse désillusion mais le Comité, considérant les progrès que faisaient à l’époque la locomotion aérienne par aéroplane décida d’organiser un meeting d’aviation à Angers et ainsi naquit le Comité d’Aviation de l’Anjou, dont la présidence fut confiée à M. René Gasnier qui jouissait à Angers de l’estime et de la vénération générale. N’était-il pas celui qui avait le premier compris l’avenir de cette nouvelle conquête de l’homme et l’avait lui-même introduite en Anjou ? ».

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(Coll. Musée Régional de l’Air).

Sur cette première course d’aéroplanes de ville à ville, la vieille collection du Petit Courrier (1) nous apporte des précisions intéressantes : le circuit automobile d’Anjou n’ayant pu aboutir par suite du refus par les constructeurs des grandes marques automobiles de se disputer le Grand Prix annuel de l’Automobile-Club de France, certaines personnalités eurent l’idée de préparer l’organisation du meeting d’aviation pour 1910. En octobre 1909, deux représentants d’un Comité parisien vinrent exposer sur la place des Halles à Angers deux appareils d’aviation. M.Cochard, président du Syndicat d’initiative de l’Anjou, M. de Farcy, président de l’aéro-club de l’Ouest et diverses personnes pensèrent qu’un Comité angevin pourrait se créer et s’occuper de l’organisation du meeting. La proposition fut écoutée favorablement et l’administration municipale promit son appui. À la suite de diverses réunions, un Comité fut constitué ayant pour président M. René Gasnier, pour vice-présidents MM. Cochard et de Farcy, pour secrétaire général M. Bessonneau, pour secrétaires MM. Clairoin et Dauphin, pour trésorier M. Paul Fortin. Les membres sont MM. Cointreau, May, G. Fortin, Pierre Gasnier, Giffard-Laurenceau, Malinge, Victor Richou et Velé. Le Comité travailla d’abord en silence puis une demande ayant pour but de faire inscrire au budget de 1910 une somme de 10 000 francs à fonds perdus et une autre somme de 20 000 francs pour participation de la ville au fonds de garantie à créer fut adressée au Conseil Municipal. Les 30 000 francs furent votés. Dans le même temps, le Conseil Général votait une subvention de 10 000 francs (2).

 

"/E. Cointreau.

(Coll. Musée Régional de l’Air).

Ce projet fut qualifié d’imprudence et même de folie. On était persuadé qu’aucun aviateur n’arriverait à Saumur, distant de 45 kilomètres et qu’il y aurait des chutes graves. Toutefois, des contacts sont pris avec les municipalités d’Angers et de Saumur, la presse technique – en particulier le journal L’Auto – et tous les intervenants civils et militaires. Cette manifestation, qui devait attirer les grands noms de l’aviation, fut richement dotée puisque presque 50 000 francs de prix devaient être distribués dont 11 000 pour le seul Conseil municipal. Il faut ajouter à cela de nombreuses libéralités privées et une aide non négligeable de l’entreprise Cointreau. Les épreuves devaient se dérouler sur quatre jours et se terminer par l’apothéose d’une première course de ville à ville.

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Un magnifique biplan participant à la course Angers-Saumur en 1910. L’aviation, encore à ses balbutiements, lançait déjà des compétitions.

(Coll. Musée Régional de l’Air).

Nombreux furent les aviateurs célèbres invités : Chrochon fit défaut, De Mumm vint malheureusement échouer sur un arbre et Audemars ne put participer, les épreuves du brevet de pilote qu’il avait passées deux jours auparavant à Issy-les-Moulineaux n’étant pas encore homologuées. Le premier jour fut contrarié par le vent. En revanche, dès le deuxième, on vit des vols remarquables. Balsan et Aubrun démontraient une témérité sans égale tandis que Sommer et Henry Farman furent les grands triomphateurs avec Dickson, Legagneux, Martinet et Paillette. Tous quatre ont couvert un nombre respectable de kilomètres tandis que le troisième jour Legagneux vint évoluer au-dessus de la ville d’Angers.

 

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Les hangars de campagne Bessonneau trouveront un terrain d’application parfait avec la 1ère course de ville à ville en 1910.

(Coll. Musée Régional de l’Air).

 

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Le quatrième jour fut consacré à la course Angers-Saumur qui comportait 45 kilomètres. Notons que l’arrivée était prévue en bordure de Loire, sur la prairie du Breil (3). Sept aviateurs se mirent en ligne mais il y eut quelques défaillances et seuls trois d’entre eux prirent le départ au signal du chronométreur. Tous trois rejoignirent Saumur à quelques minutes l’un de l’autre : Martinet, Legagneux et Dickson. Sur la Loire qui dessinait le parcours, circulaient des bateaux à moteur et, sur la route, des autos qui formaient autant de postes de secours où de charmantes infirmières s’apprêtaient à accueillir les aviateurs tombés du ciel. Au téléphone, à Saumur, le correspondant du Petit Courrier était anxieux. Sont-ils partis ? Arrivent-ils ? Autant de questions angoissées. Enfin, Martinet, sur Farman, se pose le premier à Saumur au milieu d’un enthousiasme indescriptible ; il est porté en triomphe, bientôt suivi de Legagneux puis du capitaine anglais Dickson. Martinet, dans un temps de 31 minutes et 35 secondes et avec une moyenne de 81 km/h, remporta la course; la Coupe, œuvre remarquable de M. L’Hoest, fut offerte par le journal L’Auto à Henry Farman, constructeur de l’appareil vainqueur. Legagneux, sur Sommer, mit 36 minutes et 35 secondes; Dickson, sur Farman, réalisa le trajet en 44 minutes et 53 secondes. Comme le souligna la grande presse, cette première course d’aéroplane fut un succès et constitua un large encouragement pour les grands raids qui suivirent. Toutefois, même si la course fut le temps fort de cette rencontre, il ne faut pas oublier les remarquables performances des divers aviateurs engagés et la totalisation des distances parcourues montre bien que l’avion s’était désormais affranchi de ses incertitudes des années précédentes : Legagneux, sur Sommer, totalise 469,915 kilomètres; Dickson, sur Farman, réalise 199,445 kilomètres, puis on retrouve Martinet, également sur Farman, avec 173,100 kilomètres; enfin Aubrun sur Blériot avec 76,885 kilomètres puis Balsan, aussi sur Blériot, avec 48,830 kilomètres. Mais ces performances prennent toute leur valeur lorsque l’on sait que Martinet a réalisé un vol sans escale de 168 kilomètres et Paillette un vol de 99 kilomètres.

 

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Un rutilant moteur Gnôme monté sur ce biplan de la course de 1910.

(Coll. Musée Régional de l’Air).

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Les personnalités se saluent à l’occasion des visites officielles sur le champ d’aviation.

(Coll. Musée Régional de l’Air).

Enfin, pour être tout à fait complet, il faut redire que de tels vols nécessitaient une importante dose de sang-froid et un investissement personnel et financier non négligeable de la part des concurrents. Toutefois, l’engouement était tel que les prix étaient largement à la hauteur de l’enthousiasme déclenché par les vols. Martinet s’est vu remettre 11 000 francs de prix tandis que Legagneux est parti avec 14 000 francs, Paillette avec 7 000 et Dickson avec 6 000. Cependant, la fin du meeting n’a toutefois pas signifié la fin des performances puisque, le 8 juin suivant, Daniel Kinet volera 15 minutes à une hauteur de 100 mètres sur Farman et emmènera deux passagers. Ce meeting, issu initialement d’une désillusion automobile, sera l’occasion de créer des liens importants entre l’aviation, les collectivités locales et les principaux industriels angevins. Un siècle plus tard, la recette est toujours aussi efficace et c’est le rôle de notre musée de la perpétuer, pour la plus grande gloire de l’aviation locale et du tourisme de notre coin de France.

 

Extrait de la Revue du Musée Régional de l’Air – N°88 Hiver 2016 (Avec leur aimable autorisation).

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Notes :

(1) Ancêtre de l’actuel Courrier de l’Ouest.

(2) La coupure de presse en notre possession s’arrête ici, alors qu’il est clair que l’article continue. Un jour, peut-être, nous pourrons poursuivre ce récit en détail.

(3) L’aérodrome de Saumur-Terrefort ne fut créé que bien plus tard, en 1932.