Un certain jeudi 22 avril 1915 à Romorantin

Les dossiers de René Crozet

L’histoire de ce dossier et la mise en valeur de ce trésor
Juste avant le passage en l’année 2000, un descendant de René Crozet apporte ce dossier volumineux dans le centre Onera de Meudon-la-Forêt. «Faites-en bon usage» dit-il avant de partir sans laisser d’adresse, hélas. Il n’est pas dans les missions de l’Onera d’exploiter ce volumineux dossier mais il a néanmoins été conservé précieusement durant des années avant d’être confié à l’association Anciens-Aérodromes pour valorisation.

René Crozet

Une exploitation conjointe de ce dossier est en cours avec l’association Aeriastory http://aeriastory.blogspot.com/2020/11/le-fonds-rene-crozet-anciens-aerodromes.html 

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Un certain jeudi 22 avril 1915 à Romorantin

Romorantin en 1915
Le canton de Romorantin comprend, en 1914, neuf communes : Courmemin, Loreux, Lanthenay, Millançay, Pruniers-en-Sologne, Romorantin, Veillens, Vernou-en-Sologne, et Villeherviers.
Il y a eu, depuis, des changements : Lanthenay est rattachée à Romorantin (en 1961) et le canton a été divisé en deux : canton de Romorantin-Lanthenay-Nord et canton de Romorantin-Lanthenay-Sud. En 1911 Romorantin compte 8100 habitants

René Crozet le 22 avril 1915

René Crozet a 18 ans, le 26 ce sera son anniversaire. Il est chez lui à Romorantin dans une maison avec jardin qui semble assez proche du terrain d’aviation. Il suit des cours au collège. On a beaucoup de mal à penser que le 3 septembre 1917, il sera incorporé au 209° RAC de Castres. Son collège, à ce jour, on ne peut le situer par manque de précision (un seul lycée à Romorantin : le lycée Claude de France). Son père François est ingénieur, on ne sait pas où, sa mère Jeanne.
A Romorantin la plus grosse usine est la Manufacture des Frères Normant (draps de laine). En 1908 c’est Matra qui s’installera sur le site de Normant.

René est très souvent au terrain et dans les hangars. Sa classe doit être la terminale.

L’histoire de ce terrain et du hangar est bien décrite dans un blog dont je ne connais pas l’auteur. Il dit : « En 1911, sous l’impulsion d’un professeur du collège de Romorantin, fut créé une Société pour le Développement de l’Aéronautique. La jeune société organisa, le 3 juin 1911, sous la halle de Romorantin, une exposition où, moyennant 50 centimes, le public put admirer à loisir un monoplan Blériot équipé d’un moteur Viale de 60 CV. Le lendemain, l’appareil fut démonté jusqu’au terrain de la Butte, sur un chariot conduit aux accents de fanfare militaire. Des milliers de curieux, accourus de toute la région, se pressaient aux guichets d’entrée. A 16 h 30, avec le pilote Daucourt aux commandes, (voir la « carte postale de la collection de René Crozet via 2A »), l’appareil s’envola et exécuta un vol de huit minutes et demie en direction de Romorantin. A l’atterrissage, la foule était en délire et le Maire offrit de champagne. Après un second vol, cette manifestation aéronautique resta profondément marquée dans les annales locales. D’après un élu, il y avait eu plus de monde qu’à la foire de Maray, soit plus de 10 000 personnes« .

Le terrain de la Butte
La première fois qu’il fut officiellement question d’aviation militaire à Pruniers, ce fut en 1912. La commune reçut une lettre datée du 31 mars 1912 émanant du Comité de l’Aviation Nationale (dont le Président était Georges Clemenceau) qui demandait au Maire de Pruniers de participer à une souscription nationale pour la création d’une aviation militaire. Le Conseil Municipal y répondit favorablement.
Le 15 avril 1912, le Président de l’Union Commerciale et Industrielle de Romorantin (l’ancêtre de l’A.R.C.A.) fit savoir au Maire de Pruniers qu’il serait « nécessaire d’avoir un terrain d’aviation entre Orléans et Châteauroux qui comprendrait une piste, un hangar et des magasins d’huile et d’essence« . Le Conseil Municipal accepta et cette installation fut érigée sur le terrain de la Butte. Deux ou trois avions y stationnèrent, avec un pilote et quelques mécaniciens. Ce hangar existe toujours. Après la guerre il a été transféré à l’aéroclub de Sologne où il est encore en service.

Un terrain militaire
Rapidement, la Société pour le Développement de l’Aéronautique » devint une « Station Aéronautique Militaire ».
En 1913, lors de grandes manœuvres, les aéroplanes des deux premières escadrilles de l’armée française utilisèrent ce terrain pour faire escale, avant de poursuivre leur route vers Limoges.(1)

La guerre en 1915

Le front en 1915, c’est au plus proche : Mulhouse à 400 km. Dans son écrit aucune notion de guerre donc il ne lit pas les journaux locaux (La Dépêche du centre ??).
A Romorantin, il y une partie du 113ème RI et la ville est rythmée par les prises d’armes, les défilés militaires…
A ma connaissance je n’ai rien vu dans le carnet 1 à ce sujet.

Le 22 avril 1915 est une date noire dans l’histoire de l’humanité. Au cours de la Première Guerre mondiale, l’armée allemande a pour la première fois utilisé massivement des gaz à Ypres.

Au terrain et au hangar le 22 avril 1915

Revenons au terrain avec René Crozet :
• Il y est vers 8 heure.
• Un Henri Farman HF 213, réparé la veille, vient de décoller.
• Il fait beau mais il y a du vent.
• Il entend un Morane Saulnier qui vole au-dessus de la ville et après des manœuvres un peu hasardeuses pique sur le terrain, touche le sol moteur coupé, rebondit mais rejoint le hangar un pneu crevé. C’est le MS 12. Le réservoir d’huile fuit. Il semble venir de Châteauroux. Vers 14h, l’appareil est réparé. René Crozet participe aux manœuvres de sortie de l’avion et à son décollage. Les hommes du terrain se postent à chaque bout d’aile, maintiennent l’avion et à l’ordre « lâchez tout » l’avion décolle vers sa base de Avord.

Daucourt chef-pilote monoplan Blériot Sens

En marge en écriture bleue : le nom de Guynemer.

On peut donc en déduire que René Crozet ne connaissait pas le nom du pilote en 1915. Il a rajouté ensuite son nom. L’avion est un Morane Saulnier type ? : monoplan monoplace avec un moteur de 60CV. Le nom de MS 12 pourrait signifier son numéro de série ?
A l’école de Avord il y avait bien des Morane (Albin Denis donne des photos sur son site de L, G ou H ??).

Dès le mois d’avril 1915, l’école, alimentée par Pau, assure le stage de perfectionnement sur Morane-Saulnier, avec l’Adj Rose comme chef de division.

Le Brevet militaire de Guynemer le 22 avril 1915

Par contre le nom de Guynemer me semble plus que probable.
En cherchant sur Internet : j’ai vu que lui fut attribué le brevet de pilote militaire n° 853, qu’il obtint après avoir réussi sur Morane-Saulnier à moteur de 60 chevaux d’une part l’épreuve « triangulaire » (organisée le 22 avril entre Avord, Châteauroux et Romorantin) et, d’autre part, les épreuves « de lignes droites et hauteur » (qui se déroulèrent entre Avord et Étampes le 26 avril). Dans le récit de Crozet, on a bien Châteauroux, Romorantin et Avord et la date du 22 avril.
Le vol Avord-Châteauroux c’est 80km, Châteauroux-Romorantin : 60 km et retour sur Avord 80 km. Son avion devait faire du 120 km/h.
On peut penser que le 22 il avait bien pu faire Avord-Châteauroux-Romorantin-Avord dans la journée. Après recherches dans les carnets spécifiques sur Romorantin un entrefilet de la main de René Crozet confirme la présence de Guynemer le 22 avril 1915 sur l’aérodrome de Romorantin. Comme on pourrait dire  « ce jour-là il a cassé du bois, tan-pis pour son aura. »

Georges Guynemer 22 avril 1915

Dernière remarque dans un des dessins de Crozet on voit ce triangle Avord-Châteauroux-Romorantin, est-il lié au vol de Guynemer ?

Carte vols Romorantin Avord Châteauroux
A suivre …

Jérôme Grosse – d’après le Carnet n°1 de René Crozet

Notes :

(1)  http://pruniersensologne.chez.com/hist.htm