Historique

C’EST LA QUE LES CHOSES SERIEUSES

ONT COMMENCE !

 

Les fêtes du centenaire de la traversée dela Manche par Blériot sont terminées depuis plus d’un an. Pour l’occasion, le Calaisis avait fait les choses en grand, avec un programme d’animations durant tout le mois de juillet 2009, et en particulier une série d’expositions en plein air de Calais à Hardelot-Plage où l’aviateur avait fait construire sa villa.

 Depuis un siècle déjà, tout le monde sait plus ou moins que Blériot a décollé d’un endroit appelé « les Baraques » (commune de Sangatte) à l’ouest de Calais. Ce gros hameau à l’époque porte aujourd’hui le nom de Blériot-Plage en hommage à l’aviateur et son exploit.

Un monument à l’angle dela RD940 et de la rue Guynemer est là pour le rappeler.

Certes, des aérostiers tout aussi téméraires avaient déjà réalisé la traversée symbolique (faire que l’Angleterre ne soit plus une île accessible uniquement par la mer), mais c’était la première fois que la chose se faisait par un plus lourd que l’air mû par un moteur, ne subissant plus (trop) les aléas des vents.

 Blériot a donc décollé des Baraques. Cette phrase, écrite et réécrite depuis les premiers articles de presse relatant l’exploit et dans tous les ouvrages qui ont suivis, a suffit a satisfaire la curiosité de tous.

Il n’y a qu’à regarder une carte: Calais Blériot-Plage l’affaire est jouée, c’est là!

 Oui, mais où précisément ?

 

Les Baraques en 1929

 

Car notre quête est bien d’identifier les lieux, le plus précisément possible, des aérodromes disparus.

Et, bien que dans ce cas précis le terme d’aérodrome puisse être discuté à l’infini, s’agissant d’un terrain aéronautique historique, il est de notre devoir d’essayer de lever le mystère.

 Le fait est que si nous habitions Blériot-Plage, il suffirait peut-être de descendre au bistrot du coin et de poser la question pour obtenir une réponse… ou plusieurs!

En attendant les beaux jours pour aller contempler les falaises de Douvres, les recherches commencent tout naturellement sur Internet.

La réponse est nette et précise: rien !

Des indices, quelques noms surgissent quand même au gré des sites:

Les Salines, Champ de tir, Ferme Grignon, …

 Direction Gallica (le site en ligne de la BNF) pour se rafraîchir la mémoire et glaner quelques précieux renseignements en relisant les articles de journaux de l’époque. Certains titres, comme le Matin, l’Echo de Paris, le Figaro, le Petit journal, avaient dépêché un envoyé spécial pour couvrir l’évènement. A partir du 21 juillet 1909, date de l’arrivée de Blériot à Calais, un compte rendu quotidien était fait par téléphone ou par dépêche.

C’est que l’affaire était de la plus haute importance et tenait Paris en haleine. La compétition entre Blériot, Latham le malchanceux à Sangatte et le comte de Lambert l’outsider en embuscade à Wissant était intense.

 

Le Petit Journal du 24 juillet 1909

 

 La pêche aux informations est assez fructueuse. Les noms cités plus haut sont confirmés (l’un ou l’autre selon le journal), et il ne fait aucun doute que l’ami Blériot a trouvé refuge pour son avion dans la cour de la ferme Grignon (ou laiterie Grignon) aux Baraques, et qu’une fois le portail franchit,50 mètresle séparaient du terrain.

 Mais malheureusement, pas l’ombre d’une ferme Grignon sur les cartes anciennes et « cadastre Napoléon » !

 D’après les récits des journalistes, l’aménagement était des plus sommaires. L’avion était garé le nez face au mur d’une grange et abrité des intempéries et des regards indiscrets par une bâche accrochée au bâtiment par un côté, le pendant recouvrant l’arrière de l’appareil. Le dispositif était complété par une palissade sommaire permettant de tenir les nombreux badauds à distance. Les deux mécaniciens se relayaient jours et nuits pour empêcher toute dégradation ou sabotage, tandis que Louis Blériot logeait à Calais.

 Le dimanche 25 juillet, Blériot décolle à l’aube et rallie la côte anglaise en 32 mn environ.

 A partir de ce moment, les articles ne rapportent plus que la performance sportive, technologique et… patriotique. Plus aucun détail sur la logistique de l’exploit, tout cela tombe dans l’oubli !

 L’année suivante, le 21 mai 1910, le comte Jacques de Lesseps renouvelle l’exploit de Blériot. Lui aussi

entrepose son appareil dans la cour de la ferme Grignon, décolle des Baraques et est escorté par le contre-torpilleur l’Escopette  pendant la traversée. Mais, là aussi, à la lecture des récits des envoyés spéciaux sur place, aucune information supplémentaire disponible pour localiser la trop discrète ferme mystère.

 Il faut attendre juillet 1911, avec l’inauguration du monument commémoratif pour reprendre espoir. La Revue aérienne du 25 juillet 1911 nous apprend que « Sur le bord de la route de Calais à Sangatte face à la plaine des Salines, d’où Blériot, d’un vol décisif, s’élança le 25 juillet 1909 à la conquête de la Manche, on a, le 10 juillet, inauguré le monument commémoratif de cet exploit ».

 

Monument commémoratif de la traversée de la Manche

Me revient alors en mémoire que ce monument aurait été déplacé plus tard à cause de l’extension du village. Vérification faite en comparant une photo aérienne de 1944, sur laquelle le monument est bien visible au nord de la route à la sortie ouest du hameau, et une photo actuelle.

Le verdict est sans appel: le monument a bien été déplacé… mais sans changer de place !!!

Une petite rotation de 45° et peut-être quelques mètres en retrait pour permettre le nouvel aménagement routier, pas plus.

 

Partie Ouest des Baraques où a été érigé le monument

 

La fameuse « Plaine des Salines », lieu de l’envol de Blériot deux ans auparavant, se trouve donc au sud de la route Calais-Sangatte face au monument. Une partie du mystère est donc levée, mais restait à retrouver la fameuse ferme Grignon!

L’étude plus minutieuse de la photo de 1944 (la plus ancienne verticale trouvée sur la zone), une loupe dans une main et les articles de 1909 dans l’autre (avec une mauvaise photo du Blériot XI prise dans la cour) permet de retenir 2 ou 3 maisons dans les abord immédiats du terrain.

 La date de parution de cette lettre mensuelle approchant, il était trop tard pour se rendre sur place afin de se faire une meilleure idée.

 C’est finalement en contactant M. CARON, responsable de la médiathèque de Blériot-Plage que nous saurons le fin mot de l’histoire.

La ferme a pu être identifiée par des habitants grâce à une photo parue dans « l’Illustration » sur laquelle on aperçoit distinctement l’école.

La maison est toujours là, rue Carnot, occupée aujourd’hui par des religieuses.

01° 49′ 19 » E 50° 57′ 25 » N

Ces quelques chiffres indiquent le point de départ du plus grand exploit aéronautique « intercontinental » de l’histoire.

 

La surface de décollage n’a peut-être pas la géométrie parfaite, mais c’est le bon endroit.

 

Ca valait le coup de chercher, pour un bilancarbone ridicule, hormis quelques centaines de clics.

Ce terrain verra encore passer quelques avions jusqu’à la Première Guerremondiale.

En février 1912, le capitaine Barès, alors commandant du centre de Douai –la Brayelle, y fit même une inspection en vue de convertir ce terrain en aérodrome et d’y créer une école d’aviation civile et militaire. Ce projet resta sans suite.

 En1915, l’aviation anglaise s’y installa jusqu’à la fin des hostilités, mais était-ce bien au même endroit ?

 L’histoire aéronautique, et plus particulièrement celle des nombreux aérodromes, fut très importante dans la région de Calais.

Quelques traces du passé subsistent encore à Saint-Inglevert, à Audembert, sur le site de l’aérodrome quasiment mort-né de Boulogne-Alprech ou à Calais-Marck (aujourd’hui aéroport Calais-Dunkerque). On trouve aussi un discret morceau de « Rollstrasse » ayant échappé aux travaux du terminal Eurotunnel à Coquelles. Partout ailleurs, les traces du passé ont été effacées.

 Matthieu PILORGET et François PAQUET (membres 2A)

novembre 2010

 

Sources documentaires :

Journaux Le Matin, L’Echo de Paris, Le Figaro, Le Petit Journal

La Revue Aérienne

Carte IGN Cartothèque – 1929, 1909, 1875

Photo IGN Photothèque Nationale – 1944

Archives Départementales 62

 

Nos remerciements à M. CARON pour sa disponibilité