Le terrain d’aviation de La Roche-sur-Yon

de 1936 à 1956, et ses emplois civils et militaires :
réalités et déceptions
Pierre Labrude* et Gwënnolé Le Bourg**
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La ville de La Roche-sur-Yon dispose aujourd’hui d’un aéroport. Baptisé « Aérodrome René Couzinet » le 22 octobre 1983, il a succédé au terrain d’aviation créé en 1936 dans le contexte politique et social de l’époque où « l’aviation populaire » était encouragée. C’est le ministre Pierre Cot qui est le promoteur de cette activité. Destiné dans un premier temps à un usage local, mais aussi, à terme, à s’intégrer dans le réseau aéronautique national, il intéresse l’industriel et constructeur d’avions René Couzinet, qui achète des terrains et fait construire une usine en bordure du site en 1939. La plate-forme est réquisitionnée par l’armée de l’Air au début de la Seconde Guerre mondiale, puis rendue inutilisable par l’armée d’occupation. Bombardée en 1944, remise en service après la Libération, elle fait l’objet de tractations en vue de son usage par l’armée des Etats-Unis au début de la décennie 1950 dans le cadre de la présence de celle-ci en France. Ces négociations n’aboutissent pas, au contraire de celles engagées en vue de la location de l’usine Couzinet Transocéanic. Enfin, de 1954 à 1956, plusieurs demandes effectuées par le préfet tendent à faire venir sur le site une unité de l’armée française. Elles aboutissent également à un échec.

Tout ceci est à peu près inconnu, et le but de cette note est de raconter l’histoire de ce terrain d’aviation, de ses usages successifs au cours de la période considérée, et des espoirs et déceptions que son existence a suscités à La Roche-sur-Yon.

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Le site avant la création du terrain d’aviation

C’est au début de la décennie 1930-1940, à la suite de deux événements a priori indépendants, qu’une réflexion est engagée à La Roche-sur-Yon en vue de la création d’un terrain d’aviation. Le premier événement, en 1933, est l’atterrissage, à la suite d’une panne, d’un avion militaire sur le site « des Ajoncs ». Le second événement est, en 1935-1936, la création de l’Aéro-Club Yonnais par quelques passionnés. L’un d’entre eux, M. Maquaire, demande au maire, M. Tapon, si la municipalité accepterait de prendre en charge l’aménagement d’un petit aérodrome civil sur le site des Ajoncs (1). Après examen de la carte, des reconnaissances techniques sont effectuées à sept endroits le 18 janvier 1935 par M. Duval, du service des Etudes et de la Signalisation du ministère de l’Air. C’est l’espace situé à la limite des communes du Bourg-sous-la-Roche – qui a fusionné avec La Roche-sur-Yon en 1964 -, et de La Ferrière, qui est retenu, en particulier pour des raisons de relief (2).
Dans cet espace situé à une altitude de 91 mètres et à environ six kilomètres au nord-est de la ville, les vents soufflent principalement dans le secteur nord-ouest/sud-est, souvent sud-ouest, rarement nord et sud et sans violence. Le terrain se prête en toute saison aux mouvements des avions légers, mais, pour des avions lourds, il conviendra de le drainer et d’envisager la création d’infrastructures « en dur » (3).
Le 29 octobre 1936(4), le Conseil municipal prend la décision de créer un terrain d’aviation. En plus d’être utile à l’aéroclub local, son intégration dans le plan national d’infrastructure aéronautique permettrait de recevoir des subventions du ministère de l’Air et également de bénéficier de crédits au titre des grands travaux destinés à lutter contre le chômage. Le maire aimerait aussi que, par ce moyen, La Roche-sur-Yon puisse retrouver une garnison. En effet, le régiment d’infanterie qui stationnait en ville avant 1914 a été dissous en 1920 et il n’a pas été remplacé en dépit des efforts de la municipalité (5). Le Conseil municipal est optimiste, il espère l’ouverture du terrain en 1937 et son intégration en tant qu’escale de la future liaison Cherbourg-Nantes-Bordeaux (6). La plate-forme sera exploitée par l’Aéro-Club Yonnais.
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La création du terrain
Le dossier étant constitué, le projet est déclaré d’utilité publique en mars 1937, et une convention est signée entre l’Etat et la ville en décembre. L’Etat et le département de la Vendée apportent des subventions (7). Les terrains sont expropriés au cours de cette année 1937 mais les travaux avancent moins rapidement que prévu et leur coût augmente : un million de francs à la fin de l’année 1937 dont la moitié à la charge de la ville. L’aménagement du site a lieu en 1938 et 1939 pour une inauguration qui doit avoir lieu le 17 septembre 1939 (8), mais qui est annulée en raison de la déclaration de guerre.
Les installations ont fait l’objet d’un arrêté ministériel d’ouverture à la circulation aérienne publique le 30 juin précédent, et un contrat est passé entre la ville et l’aéro-club le 22 novembre 1939 (9). Celui-ci charge le club de l’exploitation et de la maintenance de l’ensemble des installations, y compris autres qu’aéronautiques : le club-house et son café-restaurant. Le terrain présente une surface légèrement supérieure à 30 hectares, avec le hangar de l’aéroclub, le club-house et une voie d’accès de 1250 mètres de longueur et 5 de largeur, embranchée sur la route nationale 160 qui relie la ville à Cholet, et qui sera dite « route Est » lorsque l’armée de l’Air créera une seconde voie d’accès.
De son côté, en 1936, pressentant la possibilité d’un nouveau conflit, le ministère de l’Air demande aux constructeurs de délocaliser leurs usines hors de la région parisienne, qui est jugée encombrée et vulnérable. Les ateliers de l’ingénieur, industriel et chef d’entreprise René Couzinet, situés à Levallois – aujourd’hui Levallois-Perret, dans le département des Hauts-de-Seine – s’avèrent inadaptés pour l’usage qui en est fait à ce moment, la révision d’avions militaires. Pour ces raisons, il décide d’implanter une nouvelle usine en province, précisément en Vendée, département où il est né, et il choisit la ville de La Roche-sur-Yon en raison de son projet d’aérodrome municipal. Les négociations en vue de cette réalisation sont très bien décrites dans l’ouvrage d’Emmanuel Caloyanni (10) mais elles ne sont pas utiles à développer ici. La société Transocéanic, qu’il fonde en 1937, reçoit l’autorisation de s’installer sur le site des Ajoncs, en bordure du terrain d’aviation, le 1er octobre 1938.
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La Seconde Guerre mondiale
La guerre entraîne la réquisition de l’aérodrome par l’armée de l’Air le 22 novembre 1939. Celle-ci décide d’agrandir la plate-forme, qui passe d’un peu plus de 32 hectares à un peu plus de 85, et d’y implanter l’annexe n° 6 de l’Ecole élémentaire de pilotage de Tours. Plusieurs baraquements destinés au logement des élèves sont édifiés sur le terrain de la société Transocéanic en bordure de la seconde voie d’accès, dite « ouest », qui est réalisée à ce moment, et en partie entre ces deux voies. Deux hangars sont édifiés côte à côte sur le terrain militaire, l’un métallique similaire de celui de l’aéro-club, et l’autre en bois (11). La figure 1 montre quelques-unes de ces réalisations.
Figure 1 : un dessin de l’usine Couzinet Transocéanic en 1940 montrant sa position, à gauche, par rapport aux installations civiles, réquisitionnées et augmentées par l’armée de l’Air (AM LRSY, réf 12).
L’armée de l’Air décide par ailleurs de constituer à La Roche une annexe de l’Entrepôt de l’Air n° 301 de Châteaudun. Dans ce but, elle commence la construction de hangars destinés à entreposer des avions, entre les deux accès et à proximité de la route nationale. Les avions auraient rejoint l’aérodrome en empruntant des terrains expropriés situés à l’Est de la première route d’accès. Les circonstances font que seules les fondations sont réalisées (13). Ainsi, au moment de la campagne de juin 1940, l’Etat est le propriétaire des 53 hectares ajoutés, de la seconde voie d’accès et de diverses constructions, achevées ou non. La figure 2 montre l’aspect polygonal du terrain, avec ses différentes parties.

Figure 2 : le terrain à l’issue des agrandissements décidés par l’armée de l’Air (AM LRSY, 6 O 43).

Sous l’Occupation, la levée de réquisition intervient le 12 novembre 1941, mais le terrain est rendu inutilisable par la réalisation de deux réseaux successifs de tranchées (14). Le premier est exécuté en 1942 sous l’autorité des Ponts et Chaussées et suit le plan du réseau de drainage. Les Allemands le jugent trop facile à combler, et en font réaliser un second, avec des tranchées larges et profondes, dont les photographies aériennes montrent avec netteté le quadrillage (figure 3). Des terrains sont rendus à leurs propriétaires et la piste est mise en culture à partir de 1943 (15).

Le site est bombardé le 22 juin 1944 et l’usine est atteinte en son milieu cependant que les hangars de l’Ecole de pilotage sont détruits (16). Une photographie aérienne prise le 26 mars 1946 montre que la travée médiane de l’usine s’est effondrée. Il ne semble y avoir aucune autre destruction et aucun cratère n’apparaît sur le terrain. Les baraquements construits par l’armée de l’Air et les fondations sont bien visibles (figure 3).
Figure 3 : une photographie aérienne réalisée le 26 mars 1946 montrant les dégâts subis par l’usine, les tranchées du terrain d’aviation et les fondations des hangars (AM LRSY, 7 Fi 167).
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De la Libération à la décennie 1950
La plate-forme est remise en état à partir de 1945, les tranchées sont bouchées et un balisage est réalisé, mais elle reste en herbe et le sens des mouvements des aéronefs est déterminé par le T de signalisation. Une nouvelle convention lie l’Etat, la ville et l’aéro-club (17). Toutefois l’activité aérienne reste faible et essentiellement liée à ce dernier. Entre les deux voies d’accès, des terrains sont conservés par l’Etat, soit en vue d’un usage par l’aérodrome, soit en raison de la présence de fondations qui les rendent inutilisables. Une autre photographie aérienne, prise à l’occasion d’une campagne de l’Institut géographique national le 21 avril 1950, ne révèle aucun changement en dehors de la réparation de la travée détruite en 1944.
Le terrain est inscrit sur la liste 2B des aérodromes et ouvert à la circulation aérienne par un arrêté du 6 février 1947, puis un nouvel arrêté, du 24 octobre 1950, le place sur la liste 1 (18). Un peu plus de cinq hectares de terrains réquisitionnés sont remis à leurs propriétaires à partir de 1951 (19).
En dépit de ces autorisations, le terrain est peu employé. Il en est de même pour l’usine Transocéanic. L’un et l’autre se prêtent à une utilisation industrielle et/ou commerciale. C’est ainsi qu’au début de la décennie 1950, alors que l’Armée américaine s’installe dans notre pays dans le cadre de la Communication Zone puis de l’OTAN, naît l’idée de les employer pour la constitution d’un ou plusieurs entrepôts de l’US Air Force et de l’US Army. Il faut rappeler que des éléments de l’American Expeditionary Force ont stationné en ville à la fin de la Grande Guerre (20). Toutefois l’idée de cet emploi n’est pas immédiate, et il y a concurrence entre l’US Army et l’US Air Force…
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Les discussions en vue de la création d’un dépôt américain de l’USAF
Il ne semble pas, au vu des documents conservés aux Archives départementales de Vendée (21), qu’il soit initialement question de créer des dépôts américains dans le département. Une liste d’installations, à jour au 31 décembre 1952, conservée aux Archives de Meurthe-et-Moselle, n’en mentionne aucune. Pourtant le préfet de la Vendée se trouve convoqué, avec une trentaine de ses collègues, à une réunion qui se tient au Secrétariat général permanent de la Défense nationale à Paris le 26 février 1953 et dont le but est d’informer les représentants de l’Etat sur les projets d’installations alliées (22).

Les discussions se déroulent en parallèle sur l’emploi éventuel de l’usine Air Couzinet Transocéanic et du terrain d’aviation, en vue d’usages très différents, et les journaux donnent des informations à la fois sur l’une et sur l’autre. La question apparaît donc compliquée. Monsieur de Lévis-Mirepoix, inspecteur général de l’Aviation civile et commerciale, intervient dans les négociations. Sa présence est bien sûr liée à sa fonction, mais elle est certainement aussi la conséquence de la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle lui-même et René Couzinet ont fait partie des Forces aériennes françaises libres.

Les premiers documents relatifs à l’intérêt des installations sont datés de la fin du mois de février 1952, et le journal Ouest-France y consacre un article dès le 6 mars : il publie une photographie de l’usine mais évoque l’emploi de l’aérodrome… Le 13 mars 1952, le ministre de l’Intérieur demande au préfet son avis sur l’emploi de l’usine et s’il a des objections à formuler sur son usage et/ou sur celui de l’aérodrome par l’USAF. Ce haut fonctionnaire répond le 1er avril que, pour l’aérodrome, il attend de connaître l’affectation prévue. Il est vraisemblable qu’il dispose à ce moment de renseignements sur les intentions américaines. En effet, le 22 mars, l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées lui a présenté le plan d’un embranchement ferroviaire destiné à la réalisation d’un dépôt américain sur le site. Pour leur part, Messieurs Couzinet et De Lévis-Mirepoix effectuent une visite sur place le 30 mars, cependant qu’une reconnaissance est réalisée par une mission franco-américaine les 3, 4 et 25 avril.

Un document daté du 5 avril évoque la création d’un Air Depot sur une surface de 800 hectares, soit plus que l’espace employé pour réaliser la grande base aérienne d’Evreux. Ce dépôt nécessiterait 3000 mètres cubes d’eau par jour, 4000 kWh de puissance électrique et utiliserait les services de 3000 employés français. L’ampleur du projet conduit à une réponse négative de la part du préfet, mais le ministre demande à nouveau un avis le 12 avril. Le compte rendu de la visite des 3 et 4 avril indique qu’il n’existe pas sur place plus de 300 personnes disponibles et qu’elles ne sont pas spécialisées. Pour ce qui est des terrains, il est aisé de trouver la surface nécessaire au dépôt, de réaliser une piste bétonnée de 2400 mètres de longueur et un embranchement SNCF. Cependant l’approvisionnement en eau et la fourniture d’électricité susciteront des difficultés. Aussi, la réalisation d’un tel projet apparaît-elle peu souhaitable.
La situation n’évolue pas rapidement. C’est seulement le 16 septembre que M. de Lévis-Mirepoix reprend contact avec le préfet en se faisant l’intermédiaire entre les Américains et l’administration française, et en plaidant discrètement en faveur de l’emploi des installations. Il précise que l’aéroclub serait toléré sur le dépôt américain. Une semaine plus tard, le 24, il est à nouveau question d’un dépôt, plus restreint cette fois, pour du matériel et des réparations, avec soixante militaires américains et mille Français, sur une surface de 170 hectares, qui engloberait les terrains actuels et l’usine et nécessiterait d’autres surfaces.
Il n’est plus question de ces infrastructures pendant plusieurs mois. Puis, le 3 avril 1953, l’officier de liaison français à La Rochelle, interroge l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de Vendée sur l’existence, dans le département, de hangars situés en bordure d’un terrain d’aviation et permettant de stocker des avions. Ce dernier lui répond le 16 qu’il n’existe que l’usine Couzinet, mais qu’elle vient d’être louée par le Service de santé de l’US Army. Le terrain d’aviation n’est pas concerné, mais « il pourrait être aménagé en aérodrome de dégagement ». Cette hypothèse surprend parce que, tel qu’il est, il ne se prête qu’à des mouvements de petits avions de liaison, et parce que la création des terrains de dégagement s’est effectuée dans le cadre de l’OTAN et non de l’armée des Etats-Unis, sur de vastes étendues, avec mise à disposition des installations aux armées des pays membres de l’Alliance atlantique, l’United States Air Force in Europe pour un certain nombre de ceux qui sont réalisés.
Le 15 décembre 1954, un état descriptif sommaire de l’aérodrome énumère les installations (23). A l’issue des travaux de remise en état, il comporte deux pistes gazonnées, d’environ 1100 mètres de longueur sur 100 de largeur, qui ont été orientées nord-sud et nord-ouest/sud-est en tenant compte de la direction des vents dominants et de la forme polygonale du terrain. Ces pistes peuvent être allongées vers le sud-est. Les infrastructures se composent d’une aire à signaux au sud, d’une soute à carburant enterrée de 5000 litres placée devant le hangar, d’un hangar métallique de 30 mètres sur 20 de surface au sol, du club-house en dur, d’un réservoir d’eau surélevé d’une capacité de quatre mètres cubes et muni d’une électropompe, l’ensemble étant géré par l’aéro-club. Les baraquements de 30 mètres sur 6, construits par l’armée de l’Air, ont été acquis par la société Transocéanic en 1945. Quant aux hangars militaires, il n’en reste que les fondations (24). Les figures 4 et 5 montrent le terrain en 1954, pendant la période où l’usine est louée par l’US Army. Selon Bretaud25 des avions sanitaires américains l’utilisent occasionnellement.
Figure 4 : le terrain en 1954 (AM LRSY, 7 Fi 66).
 Figure 5 : le terrain vu au même moment mais sous un autre angle (AM LRSY, 7 Fi 67).
L’US Army quitte le site dès le début de l’année 1956 car l’important ensemble sanitaire construit à Croix-Chapeau, entre La Rochelle et Surgères, peut être mis en service.
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Les démarches en vue de l’accueil d’une garnison française
Pendant le séjour des Américains, le 16 janvier 1955, le journal Nouveau Messager de la Vendée fait état de l’éventualité de l’accueil à La Roche-sur-Yon d’un bataillon de l’Air de l’Armée française, constitué principalement de parachutistes, qui s’installerait aux Ajoncs à l’issue de travaux d’aménagements. La municipalité se préoccupe effectivement de cette question. La ville a été le siège d’une garnison et un bataillon du 24e régiment de tirailleurs tunisiens y a stationné de 1936 à 1939 (26).
Le Conseil municipal peut, à bon droit et à ce moment, avoir cette préoccupation. Il sait que le bail contracté avec la société Air Couzinet Transocéanic est de courte durée et ne peut ignorer les difficultés que rencontre le constructeur. La présence d’une garnison intéresse les villes, mais la concurrence est vive en raison de la présence de nombreuses unités en Extrême-Orient, en Allemagne et en Autriche (jusqu’au 25 octobre 1955). Or il se trouve que l’occasion se présente avec le rapatriement en métropole d’une école stationnée en Allemagne : l’Ecole d’aviation d’artillerie, équipée d’hélicoptères et aussi sans doute d’avions légers, qui est jusque-là stationnée à Mayence.
Que rapporte à ce sujet le dossier conservé aux Archives départementales de Vendée (27) ? Le 21 juillet 1954, le préfet écrit au général Zeller, commandant la région militaire, pour lui demander l’implantation d’une garnison à La Roche-sur-Yon. Le général répond le 10 août qu’il s’en occupe. Le 23 février 1955, les armées de Terre et de l’Air donnent une réponse négative à cette demande, cependant que le 25 mars, le directeur des bases aériennes indique qu’il ne prévoit pas de modification du programme d’emploi de l’aéroport. Au cours du mois d’août, le général Koenig, ministre de la Défense nationale et des Forces armées, répond négativement à plusieurs parlementaires en expliquant qu’en raison du climat, le nombre de jours de vol serait limité. Le 19 septembre, le préfet écrit à un parlementaire que la cause est perdue. Toutefois, le 13 mars 1956, il adresse une demande appuyée au ministre qui a succédé à Koenig, M. Bourgès-Maunoury, ce à quoi celui-ci répond négativement le 6 juin. En dehors des questions de climat et donc de possibilité de vol des aéronefs, il semble que la question de la multipropriété du terrain constitue une entrave à cette destination.
La question n’est toutefois pas définitivement réglée. En effet, à l’automne 1956, les journaux mentionnent encore la visite d’officiers enquêteurs français en vue de la création de cette école (Nouveau Messager de la Vendée, 2 septembre 1956). Les espoirs que cette visite suscite sont déçus puisqu’il est annoncé peu après (NMV, 23 septembre 1956) que l’école va s’installer à Dax où elle se trouve encore actuellement.
Au cours de ces années (28), l’activité aérienne reste le fait de l’aéro-club avec du vol à moteur, du vol à voile, des baptêmes de l’air et des promenades, du parachutisme et de l’aéromodélisme. Quelques avions d’affaires appartenant aux industriels locaux sont basés sur le terrain : celui de la conserverie Fleury-Michon et celui de l’entreprise Esswein, qui a acheté l’usine de la société Couzinet et fabrique des appareils électroménagers. Il avait été question de l’acquisition de cette usine par la société Turboméca en vue d’y créer un atelier de montage de réacteurs, mais les discussions n’avaient pas abouti (29).
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Discussion et conclusion
La question de l’emploi du terrain d’aviation des Ajoncs et de l’usine Air Couzinet Transocéanic après la Seconde Guerre mondiale est une illustration des soucis que rencontrent les municipalités avec l’usage ou le ré-emploi d’infrastructures plus ou moins en déshérence. La réalisation du terrain d’aviation est décidée en 1936, avec semble-t-il l’arrière-pensée d’y accueillir l’armée de l’Air. Un tel accueil a lieu à un moment dont l’histoire de notre pays aurait aimé faire l’économie. Après la Seconde Guerre mondiale, le terrain est sous-utilisé et il est compréhensible que la municipalité cherche à rentabiliser les investissements qui ont été consentis.
L’arrivée d’unités de l’armée des Etats-Unis dans plusieurs dizaines de départements a obligé à leur trouver des lieux d’accueil, et a permis d’utiliser des infrastructures et de donner du travail à la population. Mais les grands espaces nécessitent le plus souvent des expropriations, cependant que l’appel à la population trouve une limite dans le nombre des personnes disponibles et dans leur capacité à répondre aux spécifications américaines. Un dépôt de matériels aéronautiques nécessite des personnels spécialisés dont une petite agglomération ne dispose pas. Il faut y ajouter les problèmes de concurrence dus aux différences de salaires et les difficultés dues à la faiblesse quantitative et qualitative du parc immobilier.
Le départ des militaires américains avait été anticipé par la recherche d’une nouvelle garnison française à un moment où les unités de nos armées étaient écartelées entre des affectations à l’étranger et outre-mer. L’opportunité d’accueillir une école a été contrecarrée par le climat et semble-t-il aussi par les caractéristiques du terrain. Il a encore fallu plusieurs décennies pour en faire un véritable aéroport.
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Bibliographie

1. Bretaud A., La Roche-sur-Yon Vendée Aérodrome des Ajoncs : historique sommaire, Ville de La Roche-sur-Yon, 1981, 20 pages plus annexes, ici p. 13-15.
2. Bretaud A., op. cit., p. 3.
3. Archives municipales de La Roche-sur-Yon, 6 O 43, « Aérodrome des Ajoncs, notice descriptive sommaire », 15 décembre 1954.
4. Brunetière H., Une ville vendéenne La Roche-sur-Yon 1914-1944, Editions d’Orbestier, Le Château-d’Olonne (Vendée), volume 3, 2010, p. 162-163.
5. Brunetière H., op. cit., p. 48 et 56.
6. « 1938 : un aérodrome pour La Roche-sur-Yon », Roche Mag, journal municipal, 1998, avril, n° 116, p. 22.
7. Bretaud A., op. cit., p. 3 et 11, et Brunetière, op. cit., p. 163.
8. Brunetière H., op. cit., p. 163.
9. Bretaud A., op. cit., p. 3 et 11.
10. Caloyanni E., René Couzinet de Lindbergh à Mermoz, Geste Editions/Biographie, La Crèche (Deux-Sèvres), 2001, p. 250-257.
11. Bretaud A., op. cit., p. 5 et 11.
12. Couzinet A. et Bretaud A., René Couzinet constructeur d’avions 1904-1906, plaquette réalisée à l’occasion de l’inauguration de l’Aérodrome René Couzinet (La Roche-sur-Yon – Les Ajoncs, 22 octobre 1983), Ville de La Roche-sur-Yon, imprimerie Delroisse, Olonne-sur-Mer, 1983, 9 pages, ici p. 8.
13. Bretaud A., op. cit., p. 5, 11, et annexe a.
14. Bretaud A., op. cit., p. 5, 11, et annexe a.
15. Archives municipales de La Roche-sur-Yon, DHist-85 : l’aérodrome de 1940 à 1945.
16. Bretaud A., op. cit., p. 5 et annexe a.
17. Bretaud A., op. cit., p. 11.
18. Bretaud A., op. cit., p. 11.
19. Bretaud A., op. cit., p. 7.
20. Brunetière H., op. cit., p. 49.
21. Archives départementales de Vendée (ADV), 1 W 502.
22. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, W 950-201, chemise 4.
23. Archives municipales de La Roche-sur-Yon, op. cit., référence 3.
24. Bretaud A., op. cit., p. 7.
25. Bretaud A., op. cit., p. 19.
26. Brunetière H., op. cit., p. 56.
27. ADV, 1 W 502, première partie du dossier.
28. Bretaud A., op. cit., p. 7.
29. Centre de documentation sur l’histoire du mouvement ouvrier et du travail de Vendée (CDHMOT 85), La ville et l’industrie La Roche-sur-Yon 1804-1964, imprimerie Belz, La Roche-sur-Yon, 1992, p. 48.

* professeur honoraire des universités, membre associé du Centre régional universitaire lorrain d’histoire, Université de Lorraine, Nancy (pierre.labrude@orange.fr).
** Gwënnolé Le Bourg, médiateur du Patrimoine